lundi 27 février 2017

Lumières d'automne

Lumières d'automne
Journal VI- 1993-1996
Charles Juliet
POL, format poche, 2013


Avec Charles Juliet, on n'est pas dans l'agitation et la presse, donc terminer seulement maintenant la lecture de cet opus acquis en 2014 (et dédicacé par l'auteur, danse de joie) n'a pas d'importance. Journal de rencontres, de réflexions, au cours de séjours à Saorge, puis voyages divers en France, au Mexique, au Japon, en Allemagne, ou tout simplement belles pages sur Lyon (amis lyonnais, celles du 20 décembre 1994 devraient vous parler). L'écriture de Lambeaux s'accomplit à cette époque là aussi, et bien sûr l'auteur revient parfois sur son passé. Mais l'ambiance est bien plus apaisée que dans les journaux I et II.

Il rend hommage à son épouse et reconnaît la chance qu'il a eue de bénéficier de bonnes conditions pour se consacrer à l'écriture.

Face à certaines critiques, il répond calmement "Ecrire est un acte grave. J'écris donc avec toute la sincérité et l'honnêteté dont je suis capable. Le texte une fois publié, si on lui reconnaît des qualités, je n'ai pas à en tirer avantage. J'ai simplement écrit ce que j'étais contraint d'écrire. Dès lors, je n'ai pas à attendre des compliments. A l'inverse, si l'on estime que ce texte est dépourvu d'intérêt et que ce serait perdre son temps que de le lire, alors je n'ai rien à répondre. Il n'en demeure pas moins que j'ai la conscience tranquille de l'artisan qui n'a rien à se reprocher. Je ne peux ni mieux faire, ni faire autre chose." (2 nov 1994, mais je ne peux tout reproduire)

Il parle des mots ("J'aime les mots. Au début, je les ai aimés en tant que lecteur. Pour les émotions qu'ils me donnaient. Puis après m'être mis sérieusement à écrire, j'ai eu à les utiliser. ". Il explique ce qu'est écrire, pour lui (23 août 1994) et écrire un journal (5 février 1994), parle des livres aimés, rend hommage à leurs auteurs.

Finalement me voila peu encline à citer les nombreux passages relevés en cours de lecture, qui est un peu comme une conversation suivie, d'un auteur que l'on sent vrai dans sa recherche du soi.

La dédicace!!!

vendredi 24 février 2017

L'effroi

L'effroi
François Garde
Gallimard, 2016


Après Ce qu'il advint du sauvage blanc et Pour trois couronnes, l'auteur continue à utiliser son imagination fertile dans ses romans, de facture plutôt classique, usant d'une écriture de bonne tenue.

Cette fois, l'histoire est vue à hauteur d'instrumentiste, à savoir Sébastien Armant, jeune altiste à l'orchestre de l'opéra de Paris. Le soir de la première de Cosi fan tutte, un 20 avril, le chef Louis Craon fait le salut nazi. Sébastien se lève, prend son instrument, et lui tourne le dos, suivi ensuite par les autres.
"Je n'ai été que le premier...
- Bien sûr. Le premier. Mais s'il n'y avait pas eu un premier, y aurait-il eu un deuxième, un troisième?... Nous ne le saurons jamais."

C'est le début du parcours de Sébastien Armant, pris comme pion blanc dans une agitation médiatique, et dont la vie va basculer. La tonalité d'ensemble du roman est assez triste en fait, le héros subissant plutôt les événements, après justement le moment où c'est lui qui l'a créé (après Craon, bien sûr).

J'ai appris qu'en l'absence de chef d'orchestre son remplaçant est statutairement le premier violon. J'ai aussi eu vraiment l'impression de plonger dans le quotidien d'un musicien professionnel, qu'il joue seul ou au sein d'un orchestre. J'ai apprécié la critique en douceur de la vie politique et médiatique, et j'aurais aimé en savoir plus sur Julie, l'épouse de Sébastien, par ailleurs papa gentil adorant cuisiner des gâteaux pour ses fils.

Découverte de Harold en Italie, symphonie de Berlioz 'avec alto principal'.

Les avis de Luocine et Pr. Platypus

mercredi 22 février 2017

L'appel

L'appel
Galandon et Mermoux
Glénat, 2016

Fin août 2014, la mère de Benoît reçoit une clé USB, son fils lui apprend être maintenant en Syrie. Elle est effondrée, cherche, interroge, mais que s'est-il passé AVANT?

Une BD pour raconter cette histoire ? Oui, certaines images en racontent tant! La dernière est terrible.

Des témoignages de mères dans ce cas, j'en ai juste entendu à la télé, cette fois je suppose qu'il s'agit d'oeuvre de fiction, mais qui sonne tellement vrai.  La mère fait tout pour communiquer avec son fils, le faire revenir. Elle découvre le passé récent, ses entretiens sur skype.

Le présent (pages en gris légèrement bleuté) se mêle au passé (teintes sépia) pour une histoire poignante et passionnante, bien menée et découpée, le tout avec sobriété, pudeur, et un grand art des dialogues.

On ne va pas se leurrer, pas de happy end. Quelques notes d'espoir pour certains, cependant.

Les avis de Le petit carré jaune, pativore,
Découvrir le début ici.
chez Mo'.

lundi 20 février 2017

Le livre des animaux

Toujours dans le cadre de l'éditeur du mois chez Tête de lecture (il existe un blog fait exprès!)

Le livre des animaux
Mario Rigoni Stern
La fosse aux ours, 1990
Traduit par Monique Baccelli



Mais comment ai-je pu passer à côté de Mario Rigoni Stern (1921-2008)? L'impression d'histoires de guerre (sur le front est, en plus), ou se déroulant dans un coin perdu de l'Italie, bref, rien d'urgent. Mais il a fallu l'éditeur du mois et le thème pour me lancer.

Tout démarre avec quelques histoires de chiens (qui plus est chiens de chasse) mais racontées de façon tellement vivante que je me suis attachée à ces braves bêtes, dont l'instinct (et l'intelligence) les poussent à parcourir des kilomètres à pattes, dans cette région montagneuse.

Et puis l'affaire a pris un tour plus 'nature writing' et là j'étais ravie! Chevreuils à admirer, chevreuil blessé et presque apprivoisé, et puis ces bûcherons finissant trempés sous l'orage, pour garder à l'abri un jeune chevreuil.

Puis arrivent les insectes
"Sans eux notre terre deviendrait un désert sinistre. Qui assurerait la pollinisation des fleurs? Qui favoriserait le processus de décomposition, phénomène indispensable à la vie?"
"Pour ma part, autour de ma maison (et je vis entre un bois et un pré) où les insectes règnent en souverains, je me suis assuré, avec les flatteries opportunes, la présence d'oiseaux insectivores, et je laisse vivre les araignées, les orvets et les crapauds."
J'ignore quand ces lignes ont été écrites, mais il est sûr que l'auteur se réjouit de l'abandon d'insecticides, de désherbants ou de pesticides.

J'ai été épatée de trouver son avis sur les corvidés, "leur exceptionnel développement intellectuel, considéré par certains chercheurs comme supérieur à celui des mammifères les plus doués", avis faisant écho à une de mes lectures récentes, Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l'intelligence des animaux?".

Quel bonheur de lire ses lignes sur le coq de bruyère, le faisan de montagne et la perdrix blanche, ses histoires de merles et de hiboux, de lièvre et d'ânesse? On sent l'homme observateur, près de la nature, respectueux. le voici nez à nez avec une chauve-souris réfugiée dans son bureau, retrouvée pendue la tête en bas à un livre, L'équilibre précaire -Moments de la tradition littéraire anglaise, de Sergio Perosa.

Le voici réfléchissant sur le piteux état d'un bois de sapins, attaqué et boulotté par des loirs à leur cime. Tout a commencé quand on a voulu un bois bien propre, bien nettoyé, idéal pour les balades. Sans buissons et arbustes, les hiboux, renards et martres, prédateurs naturels des loirs, filèrent ailleurs, les loirs proliférèrent, mais durent se rabattre sur les sapins pour survivre (puisque plus d'arbustes, baies, noisettes, etc). Triste histoire.

Le regard lucide, amical et sensible de l'auteur sur la nature qui l'environne, ses connaissances  qu'il sait faire passer avec légèreté, empathie et humour fin, ça j'adore! Comme de plus c'est sans bouger de son coin, on se sent incité à se lancer soi-même dans l'observation. Même en ville!

vendredi 17 février 2017

La fabrique du livre

Avant d'en dire trop (et de voir partir à toutes jambes les lecteurs) je précise que ce livre est formidable, qu'il se lit sans peine (ce n'est pas du Danièle Steel non plus), bref l'auteur n'a pas jugé utile de sortir la grosse artillerie du 'voyez comme je suis intello', qu'il est bien composé et mené, qu'il contient quelques bagarres et procès (feutrés tout de même) et aussi un meurtre non élucidé!

A attaquer au coupe papier...
La fabrique du livre
L'édition littéraire au XXe siècle
Olivier Bessard-Banquy
Presses Universitaires de Bordeaux & Du Lérot, éditeur, 2016
(ce Lérot fait ma joie, il ne m'en faut pas beaucoup, je sais)

L'auteur: un CV long comme un lundi, mais attirant comme un vendredi, à savoir professeur des universités, en charge des enseignements d'édition et d'histoire de l'imprimé au sein du pôle des métiers du livre de l'université de Bordeaux Montaigne, après dix ans dans l'édition parisienne.

Parfait donc pour nous entraîner dans 500 pages (non massicotées au départ ^_^) narrant l'histoire de l'édition française de la fin du 19ème siècle aux années 1980. (Et la suite alors? Elle existe et vous pensez bien que je vais me jeter dessus)

Il y a un bon siècle déjà se posaient les mêmes problèmes, trop d'éditeurs, trop de livres, certains sans valeur, qui se tuent les uns les autres. Faut-il privilégier la qualité, ou proposer surtout des lectures détente?
En 1938 déjà André Dinar se plaignait que radio et cinéma prennent trop de temps sur la lecture...

Ce remarquable travail est très bien documenté, archives, etc. et courriers conservés par les maisons d'édition. Je me suis amusée à découvrir sous le nom de la plupart d'icelles (Yv, oui) des messieurs (c'est très masculin ce monde) tels Gaston Gallimard, Albin Michel, Fasquelle, Flammarion, Denoël, etc.

Découvrir les tribulations de la maison Ollendorf avec les héritiers de Maupassant, d'Albin Michel avec l'indélicat Willy, ou la famille de Pierre Louys, le tout assaisonné de courriers bien écrits mais sans équivoque, est un vrai bonheur (et ça se lit comme un roman)

Et le lancement du diable au corps de Radiguet, avec entre autres "un petit clip publicitaire qui passe au cinéma avant la projection du film"?
Sans parler des prix littéraires, avec les bricolages déjà, du flair plus ou moins bon des éditeurs (le plus célèbre étant Gallimard 'ratant' Proust.

Arrive l'année 1940, et l'occupant qui met son nez dans les catalogues et les parutions, demandant la mise au pilon de certains livres, surveillant les nouveautés (allant jusqu'à chipoter pour une publication des Mémoires d'outre-tombe en pléiade). La plupart des éditeurs essaient de s'en sortir, peu en feront 'trop', mais à la fin de la guerre se tiendront des procès, où ils devront montrer leur bonne foi. Pas toujours facile.
Moins de papier, moins de parutions, moins de divertissements, les gens se jettent sur les livres, atteignant parfois de jolis prix au marché noir!
Le 13 juillet 1945, Denoël se présente devant la justice. Classement de la procédure. Mais il est abattu froidement le 2 décembre 1945, crime jamais élucidé...

Après guerre, voilà l'arrivée du poche (avec des pour et des contre), des clubs du livre (pareil, pour ou contre), les démêlés de Jean-Edern Hallier avec ses éditeurs (excédés), l'arrivée de 'petits éditeurs', Apostrophes...

J'ai découvert l'existence de l'éditeur Robert Morel, très 'années 68', absolument pas commercial, rêvé sur la collection Libertés chez JJ Pauvert...

Sans que ce monde ait été jusque là celui des bisounours, dans les années 70 j'ai eu l'impression que cela devrait plus féroce, recherche de rentabilité (sinon on coule, il faut le comprendre!), rachat de maisons en difficulté, regroupements. Et toujours les questionnements sur les lecteurs, et que leur proposer?

Pour terminer, je m'aperçois que j'ai hélas déjà laissé filer une partie de la richesse de ce livre, où chacun trouvera à se nourrir, et j'insiste sur le sérieux de l'auteur, doté d’une ironie discrète et de bon aloi, d'une plume élégante, d'un enthousiasme sobre, et dont j'ai aimé l'art des sous titres (Fisher contre Fischer, Moi Jérôme L., vingt-deux ans, typographe, Au nom du fisc, Bienvenus au club, Maison leader dans son domaine cherche à se débarrasser d'un partenaire encombrant, Trois hommes dans un bureau, Tristes classiques, etc.)

Un avis complet sur babelio

Ma participation au challenge Lire sous la contrainte avec un contrainte plutôt facile, ce qui explique que je n'y fais figurer que les 'nouvelles 'lectures.

mercredi 15 février 2017

Quitter Saïgon / Little Saïgon / Les mariées de Taïwan


Quitter Saïgon
Mémoires de Viet Kieu
Volume 1
Clément Baloup
La boîte à bulles, 2013

Complètement par hasard, j'ai découvert cette série à la médiathèque. Les Viet kieu, rappelle l'auteur, constituent la diaspora vietnamienne. Quelques pages de court rappel historique (avec japonais, français puis américains, guerre d'indépendance, communistes arrivant au pouvoir) et on plonge dans cinq histoires vraies de personnages emblématiques (pas de redites) rencontrés par l'auteur (dont son père).
Couleurs sombres, bleutées, pour le passé, couleurs plus vives pour le présent. Mais l'important est dans ce qui est narré.

On en parle chez Mo', choco,


Little Saïgon
Mémoires de Viet kieu
Volume 2
Clément Baloup
La boîte à billes, 2016

Prêts? j'ai vite enchaîné avec le tome 2, indépendant du 1, où l'auteur au cours de voyages aux Etats Unis contacte des personnes d'origine vietnamienne aux parcours divers; la plus grande part est consacrée aux femmes, c'est passionnant, poignant quoique tout en sobriété, et indispensable!

En parle Mo',

Pour terminer

Les mariées de Taïwan
Mémoires de Viet Kieu
Volume 3
Clément Baloup
La boîte à bulles, 2016

L'auteur a enquêté à Taïwan sur le phénomène des jeunes vietnamiennes épousant des taïwanais par le biais d'agences matrimoniales. Quelques témoignages ont été recueillis (pages en noir et blanc) à partir desquelles il a bâti 'l'histoire docu-fictionnelle de Linh'. Issue d’une pauvre famille villageoise, elle espère que son mariage lui donnera la possibilité de poursuivre quelques études, mais comme pour bien d'autres arrivent déception et divorce.

Ce phénomène a démarré à la fin des années 90, les hommes taïwanais désireux de femmes traditionnelles et soumises se voyant refusés par les jeunes femmes taïwanaises ayant poursuivi des études, et que ce modèle ne fait plus rêver.
A présent des associations luttent pour la défense de ces femmes déracinées. Taïwan désire par ailleurs se montrer bon élève sur la question des droits de l'homme, des lois ont été votées, mais maintenant il pourrait y avoir prospection de la part de la Chine continentale, en manque de femmes suite à la politique de l'enfant unique.

Ces trois BD passionnantes sont à découvrir absolument.

Il semble qu'il y ait la BD de la semaine, chez Noukette ?

Ma participation au challenge Lire sous la contrainte avec un contrainte plutôt facile, ce qui explique que je n'y fais figurer que les 'nouvelles 'lectures.

lundi 13 février 2017

La folle du logis

Oui j'ai déjà lu La folle du logis, oui il y a même un billet déjà sur ce blog. Mais j'aime tellement Rosa Montero, j'ai tellement aimé cette Folle du logis, au point de pleurnicher pour que l'éditeur le propose en 'poche' (9 euros, les gens!), au point d'en parler tous azimuts en commentaires sur les blogs, que voilà voilà, et pour encore mieux m'amuser, j’écris ce billet sans avoir relu le précédent (relu après avoir écrit ce billet; expérience de ressentis identiques et différents, ça m'amuse)

Au départ je voulais juste en faire un additif à celui sur La chair, mais, en cours de lecture, ce bouquin s'est imposé et a exigé un billet pour lui tout seul. (OK,OK).

La folle du logis
La Loca de la casa
Rosa Montero
Suites Métailié, 2017

Cette folle du logis, selon une citation de Thérèse d'Avila, c'est l'imagination. En démarrant son livre, Rosa Montero se proposait d'en faire "une sorte d'essai sur la littérature, la fiction, le métier d'écrivain", ce qu'il est, oh que oui, mais elle s'est retrouvée à parler de l'imagination -qu’elle a fertile- de la folie et ... d'amour (avec parfois tous ces thèmes se mêlant).

De ma première lecture j'ai retrouvé cette fascinante propension des nains à se glisser dans ses romans, parfois à son insu (tiens, au fait, pas de nains dans La chair) et bien sûr je n'avais pas oublié l'histoire de la nuit passée avec M. J'avais en revanche totalement oublié comment elle roulait à diverses reprises son lecteur dans la farine. Et oublié que c'était chez elle que j'avais découvert le livre de Klemperer (un de plus dans la LAL)
Bref, sauf erreur, je ne me souvenais pas de tous ces passages passionnants sur les écrivains, que je résumerais en : essai à lire d'urgence par toute personne écrivant ou voulant écrire.

"Etre romancier, c'est cohabiter harmonieusement avec la cinglée du dernier étage.  C'est ne pas craindre de visiter tous les mondes possibles et parfois même impossibles.(...) Il n'y a rien de comparable au métier de romancier : il permet non seulement de vivre d'autres vies, mais de les inventer.(...) Le roman, c'est la schizophrénie autorisée."

"C'est pourquoi le roman est le genre littéraire que je préfère, celui qui se prête le mieux au caractère décousu de la vie. La poésie aspire à la perfection, l'essai à l'exactitude, le drame à l'ordre structurel. Le roman est l'unique territoire littéraire où règnent la même imprécision, la même démesure que dans l'existence humaine. (pages 123 124, je dois couper)

"Isaiah Berlin dit qu'il y a deux types d’écrivains, les hérissons et les renards. Les premiers se mettent en boule et tournent toujours autour du même sujet, les seconds sont des bêtes itinérantes qui suivent sans cesse des chemines différents. Il ne s'agit pas de classification hiérarchique mais simplement descriptive. Un auteur renard n'est pas forcément meilleur qu'un auteur hérisson car ruminer toujours la même chose n'implique pas inévitablement de se répéter, bien au contraire : les bons écrivains hérissons approfondissent toujours davantage leur sujet comme on enfonce un vilebrequin dans un morceau de bois. " Proust est bien sûr "un parfait hérisson", mais Rosa Montero se sait "100% renard".
"Je vais de roman en roman à la découverte de paysages inattendus. j'essaie de ne pas baisser les bras, de ne pas me répéter. C'est pourquoi chacun de mes livres est plus difficile à écrire que le précédent."

Sinon, voici les deux questions à ne pas(plus) lui poser, elle y répond de façon magistrale (chapitre 13)
"Existe-t-il une littérature de femmes?" et "préférez-vous être romancière ou journaliste?"

"Je n'aime pas les narrateurs qui parlent d'eux; je fais allusion à ceux qui se servent de leurs livres pour se venger de leurs péripéties personnelles. La maturité d'un romancier passe inévitablement par un apprentissage fondamental: celui de la distance par rapport au récit. Le romancier doit non seulement savoir mais aussi sentir que narrateur et auteur ne peuvent se confondre. La maîtrise d'un écrivain consiste à trouver cette bonne distance avec son récit." (...) et une citation d’un autre auteur "L’écrivain novice parle toujours de lui-même quand il parle des autres, l'auteur mature parle toujours des autres quand il parle de lui-même."

Bien, et la lecture dans tout cela?
"Je ne connais pas un romancier qui ne soit affligé du vice insatiable de la lecture."

Voici la question posée par Nuria Amat aux écrivains, "si, pour une raison quelconque, tu devais choisir entre ne plus jamais écrire et ne plus jamais lire, qu'est-ce que tu choisirais?" ; Rosa Montero l'a proposée autour d'elle, avec 90% de choix pour la lecture...

"Car enfin, comment peut-on vivre sans lecture?"

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vendredi 10 février 2017

Les vies de papier

Les vies de papier
An Unnecessary Woman
Rabih Alameddine
les escales, 2016
Traduit par Nicolas Richard


Drôle de roman, bourré de digressions et d'adresses au lecteur, mais tellement vif et à l'héroïne tellement 'brut de pomme' que cela se lit tout seul. Aaliya Saleh, 72 ans, divorcée d'un mari non regretté, sans enfants, n'a donc pas trop le profil de la Beyrouthine classique, mais elle aime sa ville et n'a jamais voulu la quitter, même au plus fort de la guerre. Plus que de sa vie privée (un amant?) elle préfère parler de livres, de musique; d'ailleurs elle a travaillé des années dans une librairie, et chaque année s'est lancée dans une traduction. Mais attention! Elle prend un roman écrit ni en anglais ni en français, se procure deux traductions en anglais et français, et à partir d'elles traduit en arabe.

Sur les livres comme sur la vie et les gens, elle a des opinions bien arrêtées, mais laisse plutôt les gens tranquilles (et aime la réciproque). Une grande amie, Hannah, dont les détails de l'existence se révéleront peu à peu. Une visite à sa mère. Une inondation. Beyrouth au fil du temps et des rues. Un roman qui se lit avec plaisir, bourré de références!

Quelques passages

"Lire un bon livre pour la première fois est aussi somptueux que la première gorgée de jus d'orange qui met fin au jeûne du ramadan."

"J'estime qu'il est regrettable que l'essentiel des écrits américains contemporains semble influencés par Hemongway, le héros des garçons adolescents de tous âges et de tous sexes, plutôt que par le génie des lettres sui generis, Faulkner. Une phalange de livres sur l'ennui dans le Midwest fait l'objet de louanges (quant à savoir où se trouve le Midwest, c'est pour moi une constante source de perplexité, quelque part près de l'Iowa, j’imagine), de même que les livres sur l'angoisse inexplorée dans le New Jersey ou les couples incapables de communiquer dan le Connecticut. C'est Camus qui fit valoir que les romanciers américains sont les seuls qui pensent ne pas avoir besoin d'être des intellectuels."

"Je ne souhaite à personne qu'elle [ma mère] lui crie dessus, pas mêem à Benjamin Netanyahou, ni mêem à Ian McEwan."

"Tout Beyrouthin d'un certain âge a appris qu'en sortant de chez lui pour une promenade il n'est jamais certain qu'il rentrera à la maison, non seulement parce que quelque chose peut lui arriver personnellement mais parce qu'i lest possible que sa maison ait cessé d'exister."

"Il doit y avoir un mot dans certaines langues pour décrire l'angoisse que l'on ressent lorsqu'on se retrouve soudain face à son avenir terrifiant. Je n'en vois aucun dans les langues que je connais.
(...)
Peut-être ce mot est-il simplement mère."

Beaucoup d'avis, dont ceux de Nicole, culturelle, clara, cathulu, cuné, Aifelle, myriam, Violette,

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mercredi 8 février 2017

En France / L'Italie à vélocipède

Ce mois ci, l'éditeur du mois chez Tête de lecture (il existe un blog fait exprès!), c'est La fosse aux ours. Celui de Thomas Vinau et Antoine Choplin, mais j'ai choisi d'autres lectures, plus ou moins au hasard, des curiosités pour les deux de ce billet.

Tout d'abord, un italien en France

En France
Eugenio Montale
la fosse aux ours, 2003
traduit et préfacé par Patrice Dyerval Angelini


Eugenio Montale (1896-1981) est un poète italien ayant reçu le prix Nobel de littérature en 1975. Complètement inconnu de mes services, mais ces chroniques écrites de 1950 à 1962 au cours de voyages en France paraissaient a priori intéressantes. L'homme voyage, en Provence, en Camargue, en Bretagne et en Normandie. J'apprends en passant que la maison de Flaubert fut détruite en 1881, mais Rouen est décrétée 'la plus belle peut-être des villes de province françaises et la plus flaubertienne'. Et bien sûr Paris.

Bien des pages sont consacrées à la peinture et la littérature, ces années 1950 paraissent bien lointaines et oubliées parfois. Mais le lecteur s'amuse à rencontrer Pompidou, alors Premier ministre, mais surtout ici homme de lettres. Mauriac et Malraux, René Char, Brancusi le sculpteur, voilà quelques noms qui surnagent dans ma mémoire. Pour d'autres, connus sans doute, mais moins ou plus trop, je passe.
Une rencontre avec Georges Auric, membre du 'groupe des Six', compositeurs dont Milhaud, Honegger, Poulenc et Tailleferre, à l'époque gérant la destinée de l'Opéra et l'Opéra comique ("tous deux ont vieilli pour de multiples raisons, en attendant que l'on construise -si jamais on le construit- un nouvel opéra pour quatre mille personnes sur les champs Elysées, suivant un projet d'André Malraux." On est dans les années soixante, là.

Bref, un petit volume, bien écrit et vivant,  où chacun trouvera de quoi piocher selon ses centres d'intérêt.

Ensuite, des américains en Italie

L'Italie à vélocipède
Joseph et Elisabeth Pennell
Traduit par Matthieu Mas
la fosse aux ours, 2005

Joseph Pennel (1857-1926) est un illustrateur, graveur et écrivain américain. Elisabeth (1855 - 1936), son épouse, est écrivain. En 1884 ils viennent de se marier, et décident de visiter l'Italie, ce qui n'a rien d'original pour des anglo-saxons, et de parcourir à vélocipède les chemins de Florence à Rome. En dépit des prévisions alarmistes de leurs amis, choléra, malaria et brigands les attendant sûrement, tout se passe fort bien, et les suivre en cahotant un peu à travers la campagne italienne est un vrai bonheur.
Illustré des dessins de monsieur, le texte de madame est une petite merveille de finesse et de grâce. C'est une observatrice du paysage, des monuments, et surtout des gens, avec une pointe d'humour parfois. Cette Italie a sans doute disparu, avec les costumes régionaux et durs travaux des champs, mais on espère que les villages et l'accueil demeurent aussi charmants.
Portrait d'Elisabeth par Joseph
Sur le site Le petit braquet j'ai découvert un superbe article sur nos deux voyageurs!

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lundi 6 février 2017

La chair

La chair
La Carne
Rosa Montero
Métailié, 2017
Traduit par Myriam Chirousse


En postface, l'auteur demande de garder le silence sur un élément de tension narrative. Quand on sait de quoi sont capables certains journalistes, cela sent le vécu. Ne craignez rien de moi, surtout que cet élément -que j'avais deviné en partie- n'était pas pour moi l'essentiel.
(Et ça n'a pas raté! Dans l'Obs du 2 février je découvre un article sur ce roman, qui déjà jette le trouble... C'était bien la peine, Rosa... De plus, Daniela n'est pas uniquement 'la dernière conquête' de Mario, c'est sa femme. Je viens de vérifier dans le roman.)

D'autant plus que l'auteur encore une fois nous livre un roman palpitant du début à la fin, sans graisse superflue et bien musclé, à l'instar du héros, Adam. Je laisse chaque lectrice imaginer ce trentenaire, électricien à ses heures et escort boy à d'autres (ce qui rapporte plus).
Soledad (solitude en espagnol) engage ses services, au départ pour faire bisquer son amant Mario dont elle est séparée depuis quelques mois, lui  se consacrant à son épouse, enceinte. Mais cela ne va pas tourner comme prévu.

Oui, je vous laisse page 35 sur 200.

Soledad a pile poil soixante ans, mais en paraît bien moins, elle sent que le temps passe, pour les enfants c'est trop tard. La suivre est à la fois drôle et pathétique.
Par ailleurs ses activités professionnelles l'amènent à vouloir monter une exposition sur les écrivains maudits, et le roman est parsemé d'histoires -vraies ou pas- sur ces maudits.

"Les gens ne savaient pratiquement jamais quand c'était le dernière fois qu'ils faisaient quelque chose d'important pour eux."

"Peut-être était-ce la désolation d'avoir atteint soixante ans, alors qu'intérieurement elle en avait toujours seize."

Je me suis aussi amusée de voir intervenir la journaliste Rosa Montero comme personnage.

Bref, quand il s'agit d'un roman de Rosa Montero, je suis forcément conquise; fluidité de la plume, imagination vive, elle peut m'emmener là où elle veut, sans oublier ces réflexions qui font mouche.

Les avis de Cuné, krol, Valérie,

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vendredi 3 février 2017

Le bruit et la fureur

Le bruit et la fureur
The sound and the fury
William Faulkner
Gallimard, 1996
Traduction de Maurice Edgar Coindreau


Au départ de cette lecture, comme bien souvent, il y a Fanja de Lectures sans frontières, friande encore plus que moi de romans à la réputation difficile. Genre 'je connais quelqu'un qui l'a abandonné au bout de quelques pages'. Christw de Marques Pages (ici, et  et dernièrement )(et plus sur Faulkner encore) avait enfoncé le clou : 'la bête résiste'. Comme je n'avais sous la main que le poche et la préface du traducteur, je me suis lancée.

Maurice Edgar Coindreau raconte donc les grandes lignes de l'histoire, comme bien souvent les préfaciers de classiques, et expose la liste des personnages. Je ne saurai donc jamais quelle aurait pu être une approche 'vierge' de l'oeuvre (au risque de lâcher à la page 20, d'ailleurs).

Le titre est directement inspiré de Shakespeare, dans Macbeth 'it is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing', mais je pense que c'est une citation plutôt connue. Alors oui, la première partie, se déroulant le 7 avril 1928 dans une petite ville du Mississipi, est racontée par un idiot, Benjy, un grand gaillard de trente-trois ans, dont c'est l'anniversaire. Mais comme le dit un garçon rencontré "Tu veux dire qu'il y a trente ans qu'il a trois ans?"
Le pauvre Benjy ne s'exprime que par des gémissements, hurlements ou pleurs, il est sous la responsabilité d'un des serviteurs noirs de la famille, Luster, petit-fils de Dilsey.

"J'ai essayé de ramasser les fleurs. Luster les a ramassées et elles sont parties. Je me suis mis à crier.
- Gueule, dit Luster, gueule. Tu veux des raisons de gueuler? C'est bon, écoute un peu: Caddy, murmura-t-il, Caddy! Allez, gueule maintenant. Caddy!
- Luster, dit Dilsey de la cuisine.
Les fleurs sont revenues."

Caddy, la soeur bien-aimée de Benjy, disparue à cette époque, mais qu'il n'a pas oubliée. "Caddy sentait comme les feuilles"."Caddy sentait comme les arbres quand il pleut". "Je pouvais sentir l'odeur du froid."

Franchement la façon dont Faulkner nous plonge dans la tête de Benjy est absolument géniale!
Allez, encore quelques citations :
"Nos ombres étaient sur l'herbe. Elles arrivèrent aux arbres avant nous. La mienne est arrivée la première."Et puis nous sommes arrivés, et les ombres ont disparu."
"Nous pouvions voir Caddy qui se battait dans le miroir, et papa m'a posé par terre et est allé dans le miroir et il s'est battu aussi.(...) Il a roulé dans le coin, en dehors du miroir. (...) Ils étaient tous sortis du miroir."

Ah oui, les pensées de Benjy sont dans le désordre, la chronologie est plutôt éclatée (et ça m'a bien aidée d'avoir la liste des personnages)(même si on a deux Quentin, deux Jason et deux Maury, tant qu'à faire...)(et un Quentin masculin et l'autre féminin, mais les règles d'accord en français, c'est le bien, et je suppose les pronoms his et her en anglais aussi). Cependant j'ai vite remarqué que les différentes périodes étaient séparées par des passages en italique et là c'était bien pratique. Et puis Faulkner n'est pas si cruel, il laisse des indices "J'ai sept ans, dit Caddy".

Deuxième partie, 2 juin 1910 (information fournie par Faulkner):Quentin, étudiant, est le narrateur; des dialogues 'classiques', de belles descriptions (juste deux trois lignes sur la nature de temps en temps, de grande beauté), mais aussi ses pensées qui circulent, le passé revient en mémoire, les dialogues du passé s'écoulent sans crier gare, mais toujours des italiques pour aider le lecteur. Quentin est complètement perturbé par le mariage récent de sa soeur Caddy, qu'il aime -platoniquement- un peu trop. Comme pour Benjy, son ombre l'accompagne, au fil du temps qui s'écoule.
Je n'en dis pas plus (contrairement au préfacier; l'événement proche ne sera deviné par courte allusions que dans la suite)

Puis la troisième partie ramène au 6 avril 1928, et cette fois s'exprime Jason, le dernier frère, en perpétuelle colère et ébullition contre son entourage. Son collègue à la boutique, sa famille, les personnes rencontrées, et surtout Quentin, la fille de Caddy. Il passe son temps à boursicoter, cache de l'argent dans une caisse dans sa chambre, argent de provenance assez peu claire. Le passé lui revient à la mémoire, pour le lecteur quelques briques s'ajoutent à l'ensemble. Jason paraît n'être qu'une boule de haine et de ressentiment.

Et pour terminer, le 8 avril 1928, c'est un dimanche, Dilsey peut enfin sortir se rendre à l'église! Mais auparavant, levée tôt, il lui faudra s'occuper de la maisonnée. Dans cette partie l'on découvre une description de certains personnages, Dilsey, Benjy et la mère de famille (tiens, j'ai oublié d'en parler, de celle-là). Dilsey est sans doute assez âgée, son petit fils a 17 ans, et elle a bien du mal à monter les escaliers de la grande maison (elle, elle habite une 'case'). La maîtresse de maison, Miss Ca'oline, malade (imaginaire ou pas) est dolente et compliquée (elle l'était déjà quant ses enfants étaient jeunes, en trente ans guère d'évolution). Alors c'est l'admirable Dilsey qui gère tout, ses enfants à elle, la cuisine, Benjy, sa maîtresse, etc. avec une patience inépuisable.
Ce qui se passera au cours de cette journée, avec son narrateur extérieur cette fois, à vous de le découvrir.

Alors voilà, j'ai lu Le bruit et la fureur, j'ai survécu, et, ce qui pour moi est le plus important, j'ai vraiment pris du plaisir à ma lecture (y compris quand je voyais l'art de l'auteur). C'est parfois compliqué à suivre, sans doute ai-je raté plein de détails, je suppose maintenant que je pourrais le relire et faire plein de découvertes, surtout, je lirais bien des commentaires dessus (Pitavy ou d'autres, voir les billets de Christw notés en début de billet), mais c'était une belle expérience de se lancer (presque) sans filet.
Faulkner est très fort, l'on connaît ses personnages uniquement grâce aux dialogues et à leurs pensées (vagabondes) jamais il ne donne un avis sur eux. Pourtant ils apparaissent clairement, à la lecture.

Le roman est paru en 1929, et j'imagine qu'à l'époque les lecteurs ont été surpris. Sans vouloir diminuer le talent de Faulkner, puis-je signaler que le lecteur 'moderne' a sans doute quelques avantages. Par exemple Virginia Woolf l'a habitué aux pensées vagabondes, et Ken Kesey avec  Et  quelquefois j'ai comme une grande idée n'a pas hésité à tout mélanger aussi. Donc, cher lecteur, et chère lectrice, n'hésite pas, ce sera grandiose!

Et maintenant (ta dam!) je vais découvrir quelques avis, puisque j'ai préféré une lecture à l'aveugle, au risque de ma casser le nez. Mais je voulais une telle expérience... (et sachez que Ulysse résiste toujours, car là je m'ennuie et ne m'intéresse pas...)(donc ma vie de lectrice n'est pas terminée)

Les avis de çavamieuxenl'écrivant, lecture/écriture  (plusieurs avis),

En feuilletant un recueil de nouvelles, j'ai retrouvé quelques noms. Une raison suffisante pour les lire...

Treize nouvelles
William Faulkner
folio, 2003
Traduit par RN Raimbault, et Ch P Vorce
avec les collaboration de M E Coindreau

Laissant de côté la préface (et j'ai drôlement bien fait, puisque bien trop est raconté), j'ai découvert quatre nouvelles ayant trait à la première guerre mondiale, dans le nord de la France.

"On eût dit qu'entre ces murs sans vie et tout neufs l'atmosphère se prenait en gelée comme ces entremets brevetés que l'on prépare en gelée."
"A la lumière plus faible de la grande salle, son visage sombre et ses cheveux blancs le faisaient ressembler à un négatif de kodak."

Puis direction le sud des Etats Unis, pour six nouvelles. Découverte que les Indiens employaient des esclaves noirs au 19ème siècle! Soleil couchant, avec Quentin, neuf ans, comme narrateur, ses frère et sœur, Jason, cinq ans et Caddy, sept. Et déjà la mère chouinante."Comme si elle croyait que notre père avait réfléchi tout le jour pour trouver la chose qui lui serait le plus désagréable, comme si elle n'avait jamais douté qu'il finirait par la trouver."
Mais aussi Nancy : "Sa bouche se plissa comme une orchidée qui s’entrouvre, comme une couverture en caoutchouc, comme si, en soufflant sur le café, elle avait fait s'envoler toute la couleur de ses lèvres."

Puis l'Europe (l'Italie) avec deux américains voyageurs, et des marins (et la dernière nouvelle un peu trop cérébrale pour moi)

Commencer Faulkner par lire des nouvelles? Pourquoi pas? Son talent est là, il y est raconté des histoires incroyables dont on ne se détache pas (quel conteur!) souvent l'on est témoin, comme le narrateur, qui raconte ce qu'il veut bien, ce qu'il a vu, mais pas plus, au lecteur de lier les fils, ou d'accepter de ne pas tout savoir.

Conclusion : Il y a fort fort longtemps, j'avais lu Moustiques et m'étais assez ennuyée, agacée par les personnages. Était-ce un Faulkner moyen? Étais-je moins aguerrie? Va savoir... Mais là je suis décidée à y revenir, à cet auteur.

mercredi 1 février 2017

No home

No home
Yaa Gyasi
Calman Levy, 2017
Traduit par Anne Damour
(photo perso avec pagne et pendentif petite poupée ashanti)





D'ordinaire, les fresques historiques sur plusieurs siècles, je goûte moins (j'en ai peut-être assez lu), mais là, franchement, entre Ghana et Etats Unis, l'affaire m'attirait.

Au 18ème siècle, dans ce qui sera appelé le Ghana, les anglais habitent un fort sur la côte, mais pour faire le plein d'esclaves, l'idéal était de profiter des guerres entre les différents habitants. Deux sœurs (qui ignorent qu'elles le sont) auront des destins différents : l'une, Effia, est mariée à un capitaine anglais, et à travers ses descendants l'on vit une plongée dans l'histoire et les traditions du pays; l'autre, Esi, après un séjour dans les cachots du fort anglais, traverse l'Atlantique, et là même si l'on pense connaître les événements principaux (moi aussi j'ai lu Racines) quelques découvertes ou rappels ne font pas de mal, et l'on suit l'évolution de la condition des afro-américains, qui n'est pas un long fleuve tranquille.

L'auteur est née au Ghana, puis est arrivée aux Etats Unis à l'âge de deux ans. Son (premier) roman se lit... comme un roman, en dépit ou grâce à, un solide fond documenté. Les personnages sont attachants, les situations, même attendues pour certaines, demeurent passionnantes à découvrir. Ce n'est jamais démonstratif ou lourd. Une belle réussite!

"Nous ne pouvons pas savoir quelle histoire est exacte parce que nous n'étions pas là.
C'est le problème de l'histoire. Nous ne pouvons pas connaître ce que nous n'avons ni entendu ni expérimenté par nous-mêmes. Nous sommes obligés de nous en remettre à la parole des autres. Ceux qui étaient présents dans les temps anciens ont raconté des histoires aux enfants pour que les enfants sachent, et qu'eux-mêmes puissent raconter ces histoires à leurs enfants. Et ainsi d suite, ainsi de suite. Mais maintenant nos arrivons au problème des histoires conflictuelles.(...) Quelle histoire faut-il croire alors?
Nous croyons celui qui a le pouvoir. C'est à lui qu'incombe d'écrire l'histoire. Aussi quand vous étudiez l'histoire, vous devez toujours vous demander : 'Quel est celui dont je ne connais pas l'histoire? Quelle voix n'a pas pu s'exprimer? ' Une fois que vous avez compris cela, c'est à vous de découvrir cette histoire. A ce moment-là seulement, vous commencerez à avoir une image plus claire, bien qu'encore imparfaite."

L'avis de Cuné, Eimelle,