Le bruit et la fureur
The sound and the fury
William Faulkner
Gallimard, 1996
Traduction de Maurice Edgar Coindreau
Au départ de cette lecture, comme bien souvent, il y a
Fanja de Lectures sans frontières, friande encore plus que moi de romans à la réputation difficile. Genre 'je connais quelqu'un qui l'a abandonné au bout de quelques pages'. Christw de Marques Pages (
ici, et
là et dernièrement
là)(et plus sur Faulkner
encore) avait enfoncé le clou : 'la bête résiste'. Comme je n'avais sous la main que le poche et la préface du traducteur, je me suis lancée.
Maurice Edgar Coindreau raconte donc les grandes lignes de l'histoire, comme bien souvent les préfaciers de classiques, et expose la liste des personnages. Je ne saurai donc jamais quelle aurait pu être une approche 'vierge' de l'oeuvre (au risque de lâcher à la page 20, d'ailleurs).
Le titre est directement inspiré de Shakespeare, dans Macbeth 'it is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing', mais je pense que c'est une citation plutôt connue. Alors oui,
la première partie, se déroulant le 7 avril 1928 dans une petite ville du Mississipi, est racontée par un idiot, Benjy, un grand gaillard de trente-trois ans, dont c'est l'anniversaire. Mais comme le dit un garçon rencontré "Tu veux dire qu'il y a trente ans qu'il a trois ans?"
Le pauvre Benjy ne s'exprime que par des gémissements, hurlements ou pleurs, il est sous la responsabilité d'un des serviteurs noirs de la famille, Luster, petit-fils de Dilsey.
"J'ai essayé de ramasser les fleurs. Luster les a ramassées et elles sont parties. Je me suis mis à crier.
- Gueule, dit Luster, gueule. Tu veux des raisons de gueuler? C'est bon, écoute un peu: Caddy, murmura-t-il, Caddy! Allez, gueule maintenant. Caddy!
- Luster, dit Dilsey de la cuisine.
Les fleurs sont revenues."
Caddy, la soeur bien-aimée de Benjy, disparue à cette époque, mais qu'il n'a pas oubliée. "Caddy sentait comme les feuilles"."Caddy sentait comme les arbres quand il pleut". "Je pouvais sentir l'odeur du froid."
Franchement la façon dont Faulkner nous plonge dans la tête de Benjy est absolument géniale!
Allez, encore quelques citations :
"Nos ombres étaient sur l'herbe. Elles arrivèrent aux arbres avant nous. La mienne est arrivée la première."Et puis nous sommes arrivés, et les ombres ont disparu."
"Nous pouvions voir Caddy qui se battait dans le miroir, et papa m'a posé par terre et est allé dans le miroir et il s'est battu aussi.(...) Il a roulé dans le coin, en dehors du miroir. (...) Ils étaient tous sortis du miroir."
Ah oui, les pensées de Benjy sont dans le désordre, la chronologie est plutôt éclatée (et ça m'a bien aidée d'avoir la liste des personnages)(même si on a deux Quentin, deux Jason et deux Maury, tant qu'à faire...)(et un Quentin masculin et l'autre féminin, mais les règles d'accord en français, c'est le bien, et je suppose les pronoms his et her en anglais aussi). Cependant j'ai vite remarqué que les différentes périodes étaient séparées par des passages en italique et là c'était bien pratique. Et puis Faulkner n'est pas si cruel, il laisse des indices "J'ai sept ans, dit Caddy".
Deuxième partie, 2 juin 1910 (information fournie par Faulkner): là
Quentin, étudiant, est le narrateur; des dialogues 'classiques', de belles descriptions (juste deux trois lignes sur la nature de temps en temps, de grande beauté), mais aussi ses pensées qui circulent, le passé revient en mémoire, les dialogues du passé s'écoulent sans crier gare, mais toujours des italiques pour aider le lecteur. Quentin est complètement perturbé par le mariage récent de sa soeur Caddy, qu'il aime -platoniquement- un peu trop. Comme pour Benjy, son ombre l'accompagne, au fil du temps qui s'écoule.
Je n'en dis pas plus (contrairement au préfacier; l'événement proche ne sera deviné par courte allusions que dans la suite)
Puis
la troisième partie ramène au 6 avril 1928, et cette fois s'exprime Jason, le dernier frère, en perpétuelle colère et ébullition contre son entourage. Son collègue à la boutique, sa famille, les personnes rencontrées, et surtout Quentin, la fille de Caddy. Il passe son temps à boursicoter, cache de l'argent dans une caisse dans sa chambre, argent de provenance assez peu claire. Le passé lui revient à la mémoire, pour le lecteur quelques briques s'ajoutent à l'ensemble. Jason paraît n'être qu'une boule de haine et de ressentiment.
Et
pour terminer, le 8 avril 1928, c'est un dimanche, Dilsey peut enfin sortir se rendre à l'église! Mais auparavant, levée tôt, il lui faudra s'occuper de la maisonnée. Dans cette partie l'on découvre
une description de certains personnages, Dilsey, Benjy et la mère de famille (tiens, j'ai oublié d'en parler, de celle-là). Dilsey est sans doute assez âgée, son petit fils a 17 ans, et elle a bien du mal à monter les escaliers de la grande maison (elle, elle habite une 'case'). La maîtresse de maison, Miss Ca'oline, malade (imaginaire ou pas) est dolente et compliquée (elle l'était déjà quant ses enfants étaient jeunes, en trente ans guère d'évolution). Alors c'est l'admirable Dilsey qui gère tout, ses enfants à elle, la cuisine, Benjy, sa maîtresse, etc. avec une patience inépuisable.
Ce qui se passera au cours de cette journée, avec son narrateur extérieur cette fois, à vous de le découvrir.
Alors voilà, j'ai lu Le bruit et la fureur, j'ai survécu, et, ce qui pour moi est le plus important, j'ai vraiment pris du plaisir à ma lecture (y compris quand je voyais l'art de l'auteur). C'est parfois compliqué à suivre, sans doute ai-je raté plein de détails,
je suppose maintenant que je pourrais le relire et faire plein de découvertes, surtout, je lirais bien des commentaires dessus (Pitavy ou d'autres, voir les billets de Christw notés en début de billet), mais c'était une belle expérience de se lancer (presque) sans filet.
Faulkner est très fort, l'on connaît ses personnages uniquement grâce aux dialogues et à leurs pensées (vagabondes) jamais il ne donne un avis sur eux. Pourtant ils apparaissent clairement, à la lecture.
Le roman est paru en 1929, et j'imagine qu'à l'époque les lecteurs ont été surpris. Sans vouloir diminuer le talent de Faulkner, puis-je signaler que le lecteur 'moderne' a sans doute quelques avantages. Par exemple Virginia Woolf l'a habitué aux pensées vagabondes, et Ken Kesey avec
Et quelquefois j'ai comme une grande idée n'a pas hésité à tout mélanger aussi.
Donc, cher lecteur, et chère lectrice, n'hésite pas, ce sera grandiose!
Et maintenant (ta dam!) je vais découvrir quelques avis, puisque j'ai préféré une lecture à l'aveugle, au risque de ma casser le nez. Mais je voulais une telle expérience... (et sachez que Ulysse résiste toujours, car là je m'ennuie et ne m'intéresse pas...)(donc ma vie de lectrice n'est pas terminée)
Les avis de
çavamieuxenl'écrivant,
lecture/écriture (plusieurs avis),
En feuilletant un recueil de nouvelles, j'ai retrouvé quelques noms. Une raison suffisante pour les lire...
Treize nouvelles
William Faulkner
folio, 2003
Traduit par RN Raimbault, et Ch P Vorce
avec les collaboration de M E Coindreau
Laissant de côté la préface (et j'ai drôlement bien fait, puisque bien trop est raconté), j'ai découvert quatre nouvelles ayant trait à la première guerre mondiale, dans le nord de la France.
"On eût dit qu'entre ces murs sans vie et tout neufs l'atmosphère se prenait en gelée comme ces entremets brevetés que l'on prépare en gelée."
"A la lumière plus faible de la grande salle, son visage sombre et ses cheveux blancs le faisaient ressembler à un négatif de kodak."
Puis direction le sud des Etats Unis, pour six nouvelles. Découverte que les Indiens employaient des esclaves noirs au 19ème siècle! Soleil couchant, avec Quentin, neuf ans, comme narrateur, ses frère et sœur, Jason, cinq ans et Caddy, sept. Et déjà la mère chouinante."Comme si elle croyait que notre père avait réfléchi tout le jour pour trouver la chose qui lui serait le plus désagréable, comme si elle n'avait jamais douté qu'il finirait par la trouver."
Mais aussi Nancy : "Sa bouche se plissa comme une orchidée qui s’entrouvre, comme une couverture en caoutchouc, comme si, en soufflant sur le café, elle avait fait s'envoler toute la couleur de ses lèvres."
Puis l'Europe (l'Italie) avec deux américains voyageurs, et des marins (et la dernière nouvelle un peu trop cérébrale pour moi)
Commencer Faulkner par lire des nouvelles? Pourquoi pas? Son talent est là, il y est raconté des histoires incroyables dont on ne se détache pas (quel conteur!) souvent l'on est témoin, comme le narrateur, qui raconte ce qu'il veut bien, ce qu'il a vu, mais pas plus, au lecteur de lier les fils, ou d'accepter de ne pas tout savoir.
Conclusion : Il y a fort fort longtemps, j'avais lu Moustiques et m'étais assez ennuyée, agacée par les personnages. Était-ce un Faulkner moyen? Étais-je moins aguerrie? Va savoir... Mais là je suis décidée à y revenir, à cet auteur.