La vie obstinée
Wallace Stegner
Phébus Libretto, 2002
Wallace Stegner (1904-1993) a écrit en
1967 ce roman intitulé All the little live things. Il n'est pas aussi
connu qu'il le mérite et c'est pourquoi je l'ai fait
figurer dans mon challenge ABC, lettre S
Joe Allston après une carrière d'agent
littéraire a pris sa retraite et réside dans un coin de campagne non
loin de San Francisco. Lui et sa femme Ruth sont soudés
par une grande tendresse qui se passe souvent de mots. La vie est
calme jusqu'à ce qu'apparaisse Jim Peck, sorte d'ex étudiant gourou qui
lui arrache l'autorisation de s'installer sur son terrain.
Tout de suite leurs rapports seront tendus et conflictuels : ce Jim
lui rappelle trop son fils décédé, par ses opinions contestataires et sa
tendance à suivre les idées à la mode. Arrivent aussi
les Catlin : Marian Catlin et Joe auront de longues discussions mais
leur désaccord restera emprunt d'amitié. Comment faire autrement, quand
on connaît Marian? Elle campe sur ses positions et vit
en accord avec celles ci. Elle risque de voir reprendre son cancer,
mais décide tout de même de mener à terme sa grossesse, malgré les
risques.
Dès le début on sait que Marian va mourir. Le ton général est
mélancolique, mais quel beau roman! Pas de pathos, assez d'humour même.
C'est Joe qui raconte, il est lucide sur son rôle d'ours mal
léché un peu réactionnaire, mais Marian le forcera doucement à sortir
de son état volontaire de léthargie émotionnelle.
Difficile d'en parler sans en écarter les lecteurs par un simple résumé. Il faut absolument lire ce livre inoubliable (c'est ma deuxième lecture), subtil et tendre, au thème original, pas très
gai bien sûr mais si humain et finalement "vivant" comme l'indique le titre original.
Quelques passages :
"Recalé en sympathie, j'ai eu à peine mention passable en stoïcisme.
En revanche, j'ai décroché le premier prix d'ironie - cette calamité,
cette escampette, cette cuirasse, ce moyen de rester
planqué tout en jouant les esprits forts. Cuisante leçon que j'ai
apprise, si toutefois je l'ai retenue : c'est réduire notre humanité que
de nous débiner face à la souffrance, que ce soit la nôtre
ou celle d'autrui. Que de nous débiner devant quoi que ce soit. Telle
était la maxime de Marian."
"Pouvait-on réussir avec un individu patibulaire ce dont on avait été incapable avec son propre fils?"
"Elle [Marian] voyait des étoiles en plein jour parce qu'elle vivait
au fond d'un puits, et elle les contemplait avec passion parce que le
couvercle pouvait s'abattre d'un jour à l'autre,
l'enfermant à jamais dans les ténèbres."
Le Musée
imaginaire de Marcel Proust
Tous les tableaux de
A la recherche du temps perdu
Eric Karpeles
Thames & Hudson, 2009
Bonheur, joie et félicité : il fallait que ce livre existât, et il existe.
Tout lecteur de l'oeuvre de Proust sait qu'elle baigne dans les
références picturales. L'idée - simple et géniale- était d'exposer en parallèle les passages du roman et les oeuvres
évoquées. Même si certains tableaux ne sont pas réels mais
imaginaires, il est toujours possible de choisir une illustration proche
et parlante.
Le familier de Proust aura l'impression de le redécouvrir, le
néophyte pourra ainsi aborder une oeuvre qui peut effrayer par son
ampleur. Je recommande chaudement la découverte de ce
superbe ouvrage!!! Le génie de Proust en sort valorisé et grandi.
"Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, nous le voyons se
multiplier, et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons
de mondes à notre disposition, plus différents les uns des
autres que ceux qui roulent dans l'infini et, bien de siècles après
qu'est éteient le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou
Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial."

"Swann possédait une merveilleuse écharpe orientale, bleue et rose,
qu'il avait achetée parce que c'était exactement celle de la Vierge du
Magnificat. Mais Madame Swann ne voulait pas la porter.
Une fois seulement elle laissa son mari lui commander une toilette
toute criblée de pâquerettes, de bleuets, de myosotis et de campanules
d'après la Primavera du Printemps."
La Madone du Magnificat, Sandro Botticelli, 1480-1481
Au sujet des anges (La déploration du Christ, Giotto, 1304-1306)
"Ce sont de petits êtres qui ne manquent pas de voltiger devant les
saints quand ceux-ci se promènent; il y en a toujours quelques-uns de
lâchés au-dessus d'eux, et comme ce sont des créatures
réelles et effectivement volantes, on les voit s'élevant, décrivant
des courbes, mettant la plus grande aisance à exécuter des loopings,
fondant vers le sol la tête en bas à grand renfort d'ailes
qui leur permettent de se maintenir dans des positions contraires
aux lois de la pesanteur, et ils font beaucoup plus penser à une variété
disparue d'oiseaux ou à de jeunes élèves de Garros
s'exerçant au vol plané, qu'aux anges de l'art de la Renaissance et
des époques suivantes, dont les ailes ne sont plus que des emblèmes et
dont le maintient est habituellement le même que celui
de personnages célestes qui ne seraient pas ailés."
"Il est devenu d'une beauté, il a l'air d'une espèce de Bronzino, il est vraiment admirable."
Portrait dun jeune homme, Bronzino, années 1530
L'italien
ou Le confessionnal des Pénitents noirs
Ann Radcliffe
Marabout, 1974 (oui, ma PAL diminue...)
Roman écrit en 1797
Ann Radcliffe est bien connue des lectrices (s'il y a des lecteurs, qu'ils m'en excusent) de Northanger Abbey, roman dans lesquel Jane Austen
s'offre le plaisir de parodier et moquer les romans gothiques dont Mrs Radclife a fait son fond de commerce.
Malheureusement je ne présente pas ici les mystères d'Udolphe chers à
Catherine Morland, mais cet Italien au titre complet fort prometteur.
"C'est à l'église de San-Lorenzo, à Naples, que Vincenzo Vivaldi vit
pour la première fois Elena Rosalba. La douceur et le charme de sa
voix(...) attirèrent d'abord l'attention du jeune homme.
Son visage était couvert d'un voile; mais une distinction rare et
une grâce parfaite se révélaient dans toute sa personne." Complice, le
vent soulève son voile et "sur ses traits d'une beauté
grecque se peignait la pureté de son âme, et dans ses yeux bleus
éclatait la vivacité de son esprit."
Presque du Harlequin.
Donc Vivaldi aime Elena et s'en fait aimer assez rapidement.
Hélas, le père du jeune homme désapprouve cette mésalliance
(apparente, bien sûr...) et sa mère, aidée de son confesseur, le moine
Schedoni, fait tout pour empêcher le mariage.
On a donc droit à un enlèvement d'Elena, direction un couvent
éloigné, puis sa délivrance par Vivaldi. L'inquisition s'en mêle,
Vivaldi est reclus dans ses geôles, pendant qu'Elena risque
l'assassinat dans une horrible villa au bord de la mer déchaînée,
enfermée dans une sombre chambre dotée d'un passage secret...
Ajoutons des moines inconnus qui profèrent des messages mystérieux, apparaissant et disparaissant en un instant.
Et bien sûr un chouette final, où l'héroïne découvre des secrets de
famille, les méchants meurent (à savoir Schedoni, ses complices, la mère
de Vivaldi..., foin de toute pusillanimité! ), les
obstacles au mariage disparaissent et Vivaldi épouse Elena. Oooh
happy end!
D'accord, j'ai tout raconté, je me moque un peu, mais j'ai quand
même pris plaisir à cette lecture malgré ses grosses ficelles. Le style,
classique, est agréable à lire, l'histoire ne traîne pas
en longueur, les coïncidences s'enchaînent et le suspense est bien
là. Vivaldi est un jeune homme fougueux et assez naïf qui agit sans trop
réfléchir, il en est agaçant, mais Elena est un joli
personnage de jeune fille de bonne famille fidèle aux conventions
sociales, et qui s'évanouit aux moments opportuns.
Les méchants, on les sent à un kilomètre :
"La porte du vestibule s'ouvrit lentement et donna passage à un
homme d'une mine pâle et décharné, dont la physionomie portait
l'empreinte des passions les plus basses."
Le passage où Vivaldi est interrogé par les religieux de
l'Inquisition est excellent et, hélas, est sans doute conforme à la
vérité historique.
Je suis donc ravie de ma découverte et relirai Northanger Abbey avec un oeil plus averti. Les ingrédients du roman gothique
sont en effet bien présents: un peu
d'"exotisme" avec l'Italie, des prisons, des couvents, beaucoups de
ruines, des souterrains, des cryptes, des passages secrets, la mer
agitée, la nature, divers religieux dont ceux de
l'Inquisition, de lourds secrets du passé, un récit dans le récit...
Je ne qualifierais pas ce récit de "fantastique" car tous les
éléments "surnaturels" reçoivent une explication. Même si tout est fait
pour plonger le lecteur dans une ambiance effrayante, cela
n'a pas du tout marché pour moi, au 21ème siècle ce type de récit a
un peu vieilli.
Un avis chez Allie,
Pour le lire sur votre écran, c'est ici
Lettre R de mon challenge ABC
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