jeudi 31 octobre 2019

Mur Méditerranée

Mur Méditerranée
Louis-Philippe Dalembert
Sabien Wespieser, 2019



En 2014, après avoir embarqué sur un chalutier au large de la côte libyenne, trois femmes vont connaître, avec des centaines de passagers, une traversée périlleuse de la Méditerranée. Une histoire inspirée de la tragédie d'un bateau sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte cette année là.

Dima la syrienne a fui avec sa famille Alep et ses bombardements, puis Damas, et son voyage ne s'effectue pas tout à fait dans les mêmes conditions que celui de Chochana, nigériane issue d'une communauté juive Ibo, et Semhar, chrétienne orthodoxe érythréenne, toutes deux en fond de cale. Et auparavant Chochana, quittant son village à cause d'une sécheresse persistante, et Semhar, fuyant un service militaire à durée illimitée, ont dû se plier comme les autres au bon vouloir de passeurs avides et violents.

Le roman démarre par l'embarquement, et, par des retours en arrière, raconte l'histoire de chacune de ces femmes. Bien écrit, bien découpé, vivant, clair, un poil pédagogique avec ces trois cas distincts, ces trois religions, qui parfois se rejoignent dans les textes, les chants ou les prières, mais pas trop démonstratif et larmoyant. Sur l'écriture, un langage un peu familier s'insinue sans crier gare (pourquoi piges au lieu de ans, par exemple) et Dima mère louve, une fois suffisait. Mais je chipote. Après lecture, on a compris, si ce n'est déjà fait, que derrière chaque migrant anonyme il y a une histoire et des souffrances.

Les avis de Bibliza, jostein, babelio,

lundi 28 octobre 2019

Le bonheur est dans le peu

Le bonheur est dans le peu
Ranger, trier, s'alléger, vivre autrement
Francine Jay
First Editions, 2016
Traduit par Frédérique Corre-Montagu




La Marie Kondo américaine? Ou plutôt, Miss Minimalist? Là j'ai un peu peur a priori, mais quand j'ai vu ce livre dans la boîte à livres de la bibli, je n'ai pas résisté au jeu de mots du titre. En anglais, The Joy of less, c'est moins fun, c'est sûr.

Qu'on se rassure, pas de boîtes de rangements, pas d'adieux déchirants à vos moindres possessions (ouf!) mais un poil de bon sens. L'auteur propose sa méthode Streamline, intraduisible bien sûr, et j'ai vite oublié à quoi correspondaient les S, T, etc. en français. Pour en savoir plus, là c'est expliqué http://www.seveilleretsepanouirdemaniereraisonnee.com/2016/09/biblio-le-bonheur-est-dans-le-peu-francine-jay-le-minimalisme-mis-a-l-honneur.html)(ne pas s'inquiéter de la citation-pissenlit, le livre n'en surabonde pas, ouf)

Mais comme depuis quelque temps, et sans Francine Jay, je me parle à moi-même, du genre 'as-tu vraiment besoin d'acheter ça?' ou 'vas-tu vraiment avoir besoin de ce truc qui est chez toi sans servir depuis 10 ans?' , ce livre a confirmé ma décision de ne pas me laisser envahir (heu, on me souffle dans l'oreillette que pour les livres ce n'est pas gagné) et de RANGER! J'ai (re) découvert que les surfaces planes ont horreur du vide et au cours de ma lecture j'ai commencé à leur redonner la respiration (mais ça revient). J'ai plein de projets pour nettoyer et Jeter/ Garder/ Donner, en tout cas continuer sur ma lancée (avant cette lecture). Je confirme que ça fait du bien!

L'auteur sait qu'on ne va pas y arriver d'un coup (les objets sont malins...) et surtout ne donne pas de conseils trop précis sur ce qu'on doit garder, à chacun de prendre une décision.

Alors, un livre qui fonctionne avec les déjà convaincus? Peut-être. Il se termine sur une chapitre 'mode de vie' bon pour la planète, qui confirme aussi, un poil bien optimiste mais mieux que rien (je continue à consommer agrumes, mangues et avocats)(mais fruits et légumes très locaux aussi)

Et bien sûr, ce livre va retourner dans la boîte à livres où je l'ai pris!

Des avis sur babelio

mardi 22 octobre 2019

Berta Isla

Berta Isla
Javier Marias
Gallimard, 2019
traduit par Marie-Odile Fortier-Masek


Attention auteur chouchou, même si je reconnais en toute objectivité qu'il est du genre 'ça passe ou ça casse'. Si vous n'aimez que les phrases courtes qui vous font haleter, vous aurez du mal. Si vous préférez vous perdre un peu dans des phrases tourbillonnantes, si vous aimez que l'auteur décide du rythme, qu'il vous enveloppe parfois de rappels, cet auteur est pour vous.

Avant de dévoiler (un peu, bien sûr) de quoi ça parle, j'ajouterai que Javier Marias sait toujours jouer avec les nerfs de ses lecteurs, lui laissant entrevoir une rencontre, une révélation, lui faisant deviner un événement, mais c'est lui qui décide de l'instant de la révélation, au bout de quelques pages que l'on tourne patiemment parce que c'est le jeu entre lui et nous.

Bon, de quoi ça parle?

Une histoire d'amour, entre Berta Isla la madrilène et son mari Tomas Nevinson, dont la double nationalité anglaise et espagnole ainsi que son don pour les langues et les imitations seront repérés à Oxford où il est étudiant. Ce qui amènera sur la scène les Wheeler et Tupra déjà connus des lecteurs de Marias, et Tomas se verra obligé de travailler pour des services secrets (oui, obligé, et l'on découvrira pourquoi). D'où aussi une histoire d'espionnage, mais dont on ne saura pas grand chose, le secret étant essentiel, n'est-ce pas? Berta et Tomas connaîtront de très longues périodes sans se rencontrer. Tomas risque de ne plus savoir qui il est, Berta de ne plus connaître qui est son mari.
Tout est vu par les yeux de Berta et Tomas, et se déroule surtout des années 70 à 90, sur fond de problème irlandais et guerre des Malouines.
Ne pas s'attendre à beaucoup d'action, je préviens, mais comme d'habitude avec Marias, certaines scènes mettent les nerfs à vif, par exemple celle du briquet...

Un passage 
"C'est le narrateur qui décide et qui compte, mais on ne peut ni l'interpeller ni le questionner. Il n'a pas de nom et ce n'est pas non plus un personnage, à l'inverse de celui qui raconte à la première personne; on le croit, et donc on ne se méfie pas de lui; on ne sait pas pourquoi il sait ce qu'il ait ni pourquoi il omet et tait ce qu'il tait, ni pourquoi il est habilité à déterminer le sort de chacune de ses créatures, sans que jamais on le remette en cause. Il est clair qu'il existe et n'existe pas, tout à la fois, ou qu'il existe tout en étant introuvable. Il est même indétectable. Attention, je parle ici du narrateur et non pas de l'auteur, bien tranquille chez lui et qui n'est pas responsable de ce à quoi se réfère son narrateur et et serait même en mal d'expliquer pourquoi ce dernier en sait aussi long. Autrement dit, le narrateur à la troisième personne, omniscient, est une convention que l'on accepte et, d'une façon générale, celui qui ouvre un roman ne se demande ni pour quelle raison ni à quelle fin il prend la parole et garde jalousement durant des centaines de pages cette voix d'homme invisible, cette voix autonome et extérieur venue de nulle part."

Mes autres lectures de l'auteur
Le roman d'Oxford   Dans le dos noir du temps     Comme les amours    Demain dans la bataille pense à moi   Ton visage demain I et II et III    Si rude soit le début

vendredi 18 octobre 2019

Un petit tour dans l'Hindou Kouch

Un petit tour dans l'Hindou Kouch
A short walk in the Hindou Kush
Eric Newby
Petite bibliothèque Payot, 2019
(la couverture est celle de la vieille édition
mais la récente n'est pas disponible sur le site de l'éditeur...)
Traduit par Marianne Véron



L'auteur étant un de ces incontournables voyageurs anglais du 20ème siècle, il faut s'attendre à de l'understatement bien british, de l'autodérision, décelable dès le titre car cette short walk, ce petit tour, correspondent tout de même à des zones montagneuses dépassant facilement les 6 000 mètres, qui plus est au nord est de l'Afghanistan, au Nuristan, chez les ex-kafirs convertis à l'islam fin 19ème siècle.

Tout démarre en 1956, Eric Newby est cadre commercial de haute couture, à Londres, et le voilà qui envoie un câble à son ami Hugh Carless, diplomate en poste à Rio de Janeiro : "peux-tu aller Nuristan juin?"
Bingo, c'est parti pour escalader le mont Samir (finalement atteint en 1959 et rétrogradé sous les 6 000 mètres), alors que ni l'un ni l'autre ne s'y connaît en escalade, alpinisme ou autre. Quelques jours d'entraînement dans les montagnes galloises, et les voilà partis avec l'épouse d'Eric Newby (prudemment laissée ensuite à Téhéran, le Nuristan n'étant vraiment pas un coin où emmener une occidentale)(d'ailleurs les femmes du coin travaillent aux champs ou à la maison, et se cachent ou se voilent dès qu'un étranger est détecté).
En dépit de l'impréparation, ils reviendront vivants, amaigris mais contents. La vie dans cette magnifique région est rude et leurs guides pas toujours coopératifs.

Inutile de dire que j'ai apprécié ce voyage sans bouger de chez soi, toujours admirative de ces gens un poil inconscients que rien n'arrête.

https://en.wikipedia.org/wiki/Eric_Newby
En entraînement au pays de Galles
"Un troupeau de moutons nous suivait des yeux, en faisant des bruits qui ressemblaient beaucoup à des rires."
Lors d'une panne de de voiture en Iran
"C'était le genre d'endroit où l'on démonte les  moteurs sans jamais les remonter."

lundi 14 octobre 2019

Une étincelle de vie

Une étincelle de vie
A spark of light
Jodi Picoult
Actes sud, 2019
Traduit par Marie Chabin



Le jour de ses 40 ans, Hugh McElroy, policier et négociateur, doit gérer une prise d'otages dans un centre d'IVG, le seul du Mississipi. Un homme armé a déjà tué et blessé, de plus parmi les otages se trouvent sa fille et sa soeur. Théoriquement il devrait passer la main, mais...

Cette fois Jodi Picoult s'intéresse à l'IVG et nous fait profiter de sa documentation tous azimuts de façon fluide et - on ne peut dire agréable, vu le sujet- parfaitement abordable et passionnante. Elle sait donner la parole à tous les bords, de façon assez subtile, privilégiant l'empathie avec les femmes qui souffrent de telle ou telle situation.
Elle permet une connaissance intéressante du problème aux Etats Unis, particulièrement dans le Mississipi, un état du sud strict quant aux durées des grossesse en cours.
Côté littéraire, c'est efficacement écrit, sans chichis et pathos, et j'ai fortement apprécié sa virtuosité dans la narration, heure après heure (rien d'original là) mais à rebours.

(Dès le début j'ai deviné qui était Beth, mais je n'ai rien vu venir pour Izzy)

lundi 7 octobre 2019

Le coeur de l'Angleterre

Le coeur de l'Angleterre
Middle England
Jonathan Coe
Gallimard, 2019


Après un repas avec son père Colin dans une jardinerie aux multiples ramifications, Benjamin déclare
"J'aime bien cet endroit. C'est toujours une aventure, on en sait jamais ce qu'on va trouver. Parfois c'est sympa, parfois c'est désagréable, et le plus souvent c'est ce qu'il y a de plus bizarre. Mais voilà, c'est l'Angleterre. Elle nous colle aux semelles."

De 2010 à 2018, de Londres à Birmingham, en passant par Marseille et une croisière dans la Baltique, j'ai retrouvé avec plaisir certains des personnages de Bienvenue au club et Le cercle fermé. Qu'on se rassure, les avoir lus n'est pas indispensable pour suivre, et j'ai juste développé une furieuse envie de les relire...

Ces années pré-Brexit sont donc vues par le prisme de la famille Trotter et ses amis, Jonathan Coe usant comme d'habitude d'une ironie bristish bienvenue. Les craintes de certains vis à vis des 'minorités' m'ont rappelé ce qui peut exister de notre côté du Channel. Ainsi que la langue de bois de quelques politiques (ah, Nigel, j'ai aimé son pétage de plombs final). Certains événements, ignorés ou oubliés, sont juste évoqués, mais parfois je voyais un peu les 'coutures' du vêtement. Ceci étant, j'ai dévoré avec un immense plaisir parfois jubilatoire les plus de 500 pages du roman et quitté avec regret les personnages principaux, c'est un signe, non?

jeudi 3 octobre 2019

Le désert des Tartares

Le désert des Tartares
Il deserto dei Tartari
Dino Buzzati
Poche, 1966
Traduit par Michel Arnaud


(paragraphe qu'on peut sauter)
Il y a plus de 20 ans j'habitais au fin fond du fin fond (et ça l'est resté), selon une bonne vieille habitude j'ai demandé à un collègue de lettres quelles lectures il me recommandait. Dans sa réponse, avec Splendeurs et misères des courtisanes, il y avait Belle du Seigneur, et, pour donner une idée de l'ambiance de la ville où nous habitions : "Le désert des Tartares et Le rivage des Syrtes". 
Quand Ellettres a suggéré une lecture commune du désert des Tartares, j'ai bondi sur l'occasion. Souvenirs flous mais positifs.
Et alors là, j'ai dévoré le roman : grosse claque! On est dans la catégorie 

Coup de coeur Incontournable Ne se lâche pas.

"Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation."

Tout jeune homme sorti de l'Académie militaire, Drogo s'en va sur sa monture vers ce fort, lui aussi au fin fond du fin fond, perdu dans les montagnes. Au nord du fort, le fameux désert des Tartares, l'ennemi historique semble-t-il, qui pourrait attaquer de ce côté.
Dès le début, le lecteur sent subtilement que ce fort aux pierres jaunes, sous des nuages passant au dessus, et avec peu d'aperçus sur le désert mystérieux, va à la fois donner à Drogo le désir de vite filer, retour vers une autre garnison, et d'en découvrir plus. Allez, on reste quatre mois, on n'a pas peur. Avec le risque de s'engluer dans le quotidien militaire, ponctué de relève de gardes montantes et descendantes, avec mots de passe, et parfois une rigidité criminelle et obtuse. On le devine, Drogo sera pris au piège, même si toujours il peut partir.

Drogo est un militaire, toujours espérant qu'un jour un jour l'ennemi surviendra, que son temps à Bastiani ne sera pas vain, qu'il aura l'occasion de briller...

Comme Drogo, le lecteur ne peut quitter librement ce fort, il est fasciné, il vaut en savoir plus, il espère.

"Drogo s'obstine dans l'illusion que ce qui est important n'est pas encore commencé. Giovanni attend, patiemment, son heure qui n'est jamais venue, il ne pense pas que le futur s'est terriblement raccourci, que ce n'est plus comme jadis, quand le temps à venir pouvait lui sembler une immense période, une richesse inépuisable que l'on ne risquait rien à gaspiller."

Je dirais que c'est le roman parfait dans sa narration et sa construction. Rien que les rencontres en écho d'un officier ancien et d’une jeune recrue, au début, et vers la fin. Rien n'est appuyé, ni les relations entre ces militaires, leurs pensées, ni le temps qui finalement passe.

L'on s'interroge forcément sur sa vie, à quoi a-t-elle servi, où s'est-elle embourbée dans l'inutile, dans l'attente? Cependant le roman se termine sur une note absolument magnifique, au moment où Drogo livre enfin -et je crois, avec succès- sa plus belle bataille.

Une lecture commune avec Ellettres.

Les avis de nathalie, le bouquineur,