mardi 28 septembre 2021

Au printemps des monstres


 Au printemps des monstres

Philippe Jaenada

Mialet Barrault, 2021


Il y a peu, apprenant que parmi les livres de la rentrée littéraire se trouvait un nouvel opus de Philippe Jaenada, je n'ai pas réfléchi deux secondes avant de décider : 'je le veux!'. Parce que j'aime cet auteur et ce qu'il raconte, il rendrait passionnant n'importe quel sujet! On le connaît, depuis quelque temps il s'attaque à des sujets dont on pense tout savoir, mais les crimes recèlent leur part de mystère. 

Cette fois, c'est encore plus du lourd, puisqu'il s'agit de l'enlèvement, en 1964, d'un gamin parisien de 11 ans, Luc Taron. En quatrième de couverture, l'auteur prévient, si on préfère découvrir l'histoire dans le livre, ne pas lire la suite de ladite quatrième.J'ai donc obéi et plus tard ai découvert qu'ensuite il dit aussi 'si c'était aussi simple, je n'aurais pas passé quatre ans à écrire ce gros machin (je ne suis pas fou).'

Je ne vais donc pas trop en dire, sauf que les 750 pages se lisent sans peine, en dépit du sujet. Jaenada s'est livré à des recherches quasi sans fin, demandant sans relâche l'accès à des documents,  rendant hommage à deux auteurs ayant déjà parlé du sujet, refaisant les trajets en métro, en voiture ou à pied, réfléchissant, devenant obsessionnel, et souvent devant reconnaître qu'on ne pourra jamais tout savoir.

Il se livre aussi à une enquête minutieuse sur tous les protagonistes de l'histoire, qui en cachaient pas mal sous la moquette... Hé oui, les monstres ne sont pas forcément ceux qu'on croit.

Pour terminer, ceux qui connaissent Jaenada savent qu'on n'échappera pas aux parenthèses, bien utiles pour donner ses commentaires non dénués d'ironie et faire baisser la pression d'une histoire bien noire. L'on perçoit aussi ses doutes, ses interrogations, et même son émotion. Par ailleurs il nous fait part de sérieux soucis de santé, traités légèrement. Bref, c'est du Jaenada, c'est sa marque de fabrique, c'est pour ça aussi qu'on l'aime.

Mon parti pris était de ne pas trop en dire, mais vous trouverez aisément plus d'informations ailleurs. Cependant, tout découvrir au travers du livre, c'est bien aussi; je confirme.

Avis babelio, aleslire,

vendredi 24 septembre 2021

Notre coeur bat à Wounded Knee


 Notre coeur bat à Wounded Knee

L'Amérique indienne de 1890 à aujourd'hui

David Treuer

Albin Michel, 2021

Traduit par Michel Lederer

 

Le titre évoque bien sûr un autre livre, Enterre mon coeur à Wounded Knee, que je n'ai pas lu, mais "le massacre, en 1890, d'au moins cent cinquante Sioux Lakotas au bord du Wyoming, dans le Dakota du Sud " est bien rappelé.

L'auteur est un Ojibwé originaire de la réserve de Leech Lake (Minnesota) (son père est un immigrant allemand) et de lui j'ai lu Little    Indian roads   Et la vie nous emportera.  Indian roads en particulier vous en apprendra beaucoup sur les réserves indiennes.

Mais là David Treuer brasse très très large, revenant au peuplement de l'Amérique depuis ... le début, et là c'est passionnant à découvrir, même si on se doute déjà que les Européens n'ont pas trouvé un continent vide. Des civilisations y fleurissaient depuis longtemps, certaines étaient déjà éteintes à leur arrivée.

Batailles perdues, traités bafoués, au 19ème siècle cela se passe très mal pour les Indiens (je précise en passant que j'utilise le terme choisi par l'auteur, qui par ailleurs cite le nom des tribus si nécessaire). Il cite longuement des documents de l'époque, et j'ai particulièrement apprécié les beaux et émouvants discours de Chief Joseph et Standing Bear.

Ce serait quasi impossible de trop détailler, parfois je me perdais dans les sigles et les noms de lois, mais peu importe en réalité. Le gouvernement américain n'a vraiment pas fait de cadeaux au fil des décennies, et là aussi les enfants étaient envoyés dans des pensionnats, les tribus forcées de déménager, etc.

Mais les Indiens ont relevé la tête, par exemple dans les années 1970 ils ont occupé Alcatraz, j'avais oublié cette histoire...

Comme le dit l'auteur, "ce livre est un composé d'histoire, de reportage et d'essai." Il a rencontré de nombreuses personnes, certaines de sa propre famille, et souvent fort différentes dans leurs parcours et leurs idées, et cela donne au livre de belles respirations au milieu de faits parfois éprouvants. Les dernières rencontres prouvent que les indiens ont de l'avenir, un avenir qu'ils construisent eux-mêmes.

 Avis babelio,

mardi 21 septembre 2021

La lune de briques


 La lune de briques

The brick moon

Edward Everett Hale

Ginkgo éditeur, 2021

Traduit par Mary-Christine Pons-Vurpillot

Introduction de jean-Yves le Gall, président du CNES

Couverture : Kent


Paru en 1870, ce roman n'avait jamais été traduit ( un billet montre l'enthousiasme d'un lecteur, qui s'est lancé dans sa propre traduction)

Imaginons que pour pallier le manque de précision dans les déplacements sur Terre (surtout sur mer, d'ailleurs), on décide de construire une lune de briques, et de l'envoyer à quelques milliers de km en orbite autour de la Terre. Ne me demandez pas comment ça fonctionnerait, mais on a là, fin 19ème siècle, le premier GPS!

Évidemment tout ne se passera pas comme prévu,  une trentaine de personnes -et des poules- seront embarqués à l'insu de leur plein gré, survivront et mettront au point une ingénieuse méthode pour communiquer avec la Terre, tout en formant au fil du temps une heureuse petite colonie.

Un complément a cette courte histoire donnera tous les détails sur l'auteur, un personnage bien intéressant, et l'on découvrira l'histoire des stations en orbite avant la SSI, que ce soit dans la littérature ou dans les dernières décennies.

Une histoire plaisante à lire, écrite non sans ironie, et pleine d'imagination.

vendredi 17 septembre 2021

Voyage vers le Nord / L'année du jardinier


 Voyage vers le Nord

Cesta na sever, 1939

Karel Capek

Illustrations de Karel Capek

Les éditions du sonneur, 2010

Traduit par Benoit Meunier



Mais que voilà un 'livre de voyage' positivement charmant! Pas niais, pas lourdingue. L'auteur (et son épouse, devine-t-on), a effectué ce périple en train ou en bateau le long des côtes norvégiennes (avec parfois hélas des passagers envahissants), posant sur les paysages et habitants danois, suédois et norvégiens un regard attentif, bienveillant, non dénué d'humour. Mais subtil. En Europe centrale l'époque promet du grave et lourd, on le sent parfois au détour d'une phrase. Les illustrations de l'auteur ajoutent au bonheur de la découverte. 

"Difficile de croire que des hommes, des vaches et des chevaux puissent vivre sur une ligne aussi fine. Mais c'est ainsi, le Danemark n'est fait que d'un horizon net, sans accroc; ça leur en fait, du ciel au-dessus de la tête!"

" et le plus étrange, ce jour boréal qu n'en finit pas, et cette nuit blanche qui n'incite pas à aller se coucher, qui fait qu'on ne sait pas s'il fait déjà jour ou encore jour, si les passants sont déjà debout ou toujours debout."

Les glaciers : " D'un simple regard on peut saisir leur méthode de travail (...). Là où ils s'attaquent à un massif digne de ce nom, ils retroussent leurs manches, et les voilà qui broient, qui concassent, qui chantournent et qui affûtent jusqu'à former un amphithéâtre entre les montagnes; telle une moraine, ils traînent et charrient les débris hors de la cuvette et y installent au fond un lac, auquel ils suspendent une cascade, voilà le travail."

(j'ai aimé cette façon de décrire la nature et les paysages, quasi tout du long)

"Il semble que, dans ce monde, les costumes traditionnels et autres particularités ethnologiques n'aient plus d'importance que pour ceux qui peuvent en vivre." 

Cette lecture a développé en moi une grande envie de découvrir ces contrées (et il faut dire que les séries nordiques avaient déjà commencé)

Avis babelio, eva, patrice, lecturissime


Ensuite j'ai appris l'existence de cette année du jardinier : il me le fallait!


L'année du jardinier

Karel Capek

10/18, 2000

traduit par Joseph Gagnaire


Un opuscule absolument délicieux,  illustré par Josef Capek (le frère), qui égraine les aventures et labeurs d'un jardinier  amateur tout du long de l'année. Ne pas prendre cela comme un guide sérieux, quoique ce soit fidèle au quotidien, et bien vu dans les détails, l'auteur usant d'empathie avec cette catégorie de personnes, et d'un humour plein de gentille ironie.

Avis babelio;

mardi 14 septembre 2021

Plasmas


 Plasmas

Céline Minard

Rivages, 2021

 

 

 Bon, ne pas se leurrer, Céline Minard, ça passe ou ça casse. Mais au moins à chaque fois elle se lance dans un univers inattendu. Et ça fait drôlement du bien au neurones, OK, ça les déboussole, aussi. Cette fois (pour ce que j'en ai capté) il s'agit de 'nouvelles' reliées par un fil genre 'cela se déroule dans le futur mais la Terre -si les humains y habitent encore- n'est plus franchement habitable et mieux vaut s'adapter.' C'est donc l'occasion de découvrir des formes de vie autres.

Alors au début j'ai eu du mal, j'aurais aimé plus d’explications, puis j'ai choisi de me laisser porter, parce que évocation et imagination plus écriture ciselée, là on est servi. Finalement on parfois à se créer des images, à croire qu'on a compris une histoire. 

La présentation de l'éditeur ci-dessous a confirmé que j'avais quand même saisi quelques subtilités, alors je vais évoquer d'autres textes. Tiens, Grands singes, où Duane la primatologue observe un groupe, là mes lectures ont permis une accroche plus aisée, mais quelle fin magnifique! Dans Ricochets, où est-on? Plus sur la terre, c'est sûr, mais quel espace? Uiush, je ne sais pas ce que c'est, mais dans ma tête, c'est un paresseux. Grands fonds, où Rhif, lui, veut revenir à la surface et, pourquoi pas, explorer un peu la terre ferme hors milieu aquatique. Il est parfois fait allusion à des Ancêtres, des humains sans doute disparus il y a longtemps, présents dans des légendes. Ecologie et science fiction? En tout cas l'héroïne de la dernière nouvelle  m'a complètement fait penser à Greta Thumberg, si, si!

 Qu'en dit l'éditeur?

"Céline Minard nous plonge dans un univers renversant, où les espèces et les genres s’enchevêtrent, le réel et le virtuel communiquent par des fils ténus et invisibles. Qu’elle décrive les mesures sensorielles effectuées sur des acrobates dans un monde post-humain, la conservation de la mémoire de la Terre après son extinction, la chute d’un parallélépipède d’aluminium tombé des étoiles et du futur à travers un couloir du temps, ou bien encore la création accidentelle d’un monstre génétique dans une écurie de chevaux sibérienne, l’auteure dessine le tableau d’une fascinante cosmo-vision, dont les recombinaisons infinies forment un jeu permanent de métamorphoses. Fidèle à sa poétique des frontières, elle invente, ce faisant, un genre littéraire, forme éclatée et renouvelée du livre-monde."

Avis : babelio,  où les lecteurs en parlent sans doute mieux, et avec enthousiasme et admiration.

vendredi 10 septembre 2021

Rendez-vous avec la ruse


Rendez-vous avec la ruse

 Les détectives du Yorkshire

Julia Chapman 

Robert Lafont, 2020

Traduit par Dominique Haas et Stéphanie Leigniel

 

Hé oui, le 6ème de la série , toujours aussi addictive : on se coule avec bonheur dans l'ambiance du village de Bruncliffe, on retrouve Samson et Dalila pour des enquêtes (il s'en passe des choses dans ce village!) et surtout le pub, le salon de thé, la femme de ménage Ida, sans oublier Calimero, un gros toutou toujours affamé et avide de câlins. Et puis la bande de la maison de retraite.

Cette fois, la femme du maire soupçonne son époux de la tromper, enquête qui amènera notre duo d'enquêteurs à une partie de chasse où de gros bras appuient un peu trop sur la gâchette. Quelques méchants rodent, on les connaît, et une disparition intervient.

Bref, encore du potentiel pour éclaircir tout cela -ou pas- dans un prochain tome. Il me tarde que Samson et Dalila réalisent ce que tout lecteur a compris depuis le début, oui, ils sont hyper compatibles! Car l'humour dans cette série et les mystères suffisent amplement maintenant à maintenir l'intérêt.

Quelques enquêtes aboutissent, j'ai bien aimé la résolution du mystère des crottes déposées la nuit chez le boucher.

Avertissement : il vaut mieux démarrer par les premiers tomes, là maintenant ça commence à en dévoiler pas mal sur des événements précédemment advenus. Mais c'est vraiment une excellente série (détente) !

Avis babelio,


mardi 7 septembre 2021

Des souris et des hommes

 


Des souris et des hommes

Of mice and men

John Steinbeck

Rebecca Dautremer

Tishina, 2020

Traduit par Maurice-Edgar Coindreau

 

 J'ai un aveu à faire : j'aime Steinbeck, j'ai lu plein de ses romans ... sauf Des souris et des hommes. Peur? Mais j'avais trouvé la version VO, projetant de m'y lancer, non mais!

Par ailleurs une bibliothécaire a parlé de ces adaptations de romans par Rebecca Dautremer (dont je n'ai rien lu)

Et voilà que dans une autre bibliothèque je mets la main (les deux mains, la bête pèse son poids) sur ce roman graphique : le texte, Steinbeck (j'ai vérifié, tout y est) et les illustrations de Rebecca Dautremer.

Noël en avance, quoi!

Faut-il parler de l'histoire? George et Lennie, deux saisonniers, en Californie dans les années 30, vont de ferme en ferme. Ils trouvent aisément du travail, car Lennie est un colosse qui n'as pas peur de l'effort. Malheureusement son développement mental n'a pas suivi et des incidents les obligent à quitter rapidement leurs lieux de travail. George se sent responsable de son ami, même si cela lui pèse souvent.

Cependant ils ont un rêve, une petite ferme, un jardin, des animaux (et des lapins, demande Lennie). 

Ils sont embauchés dans une ferme, le drame va se nouer. Des personnages bien campés, le vieil employé handicapé sentant qu'il sera mis sur la touche, comme son chien, le noir mis à l'écart par racisme (un moment glaçant quant la jeune femme le menace).

Un court roman, intense, à découvrir.

L'adaptation

"D'un côté de la rivière, les versants dorés de la colline montent en s'incurvant jusqu'aux masses rocheuses des monts Galiban, mais, du côté de la vallée, l'eau est bordée d'arbres."

Voilà commence démarre le roman, texte illustré de paysages aux teintes douces.

Surviennent les deux héros. Leurs dialogues voire leurs gestes sont représentés par des vignettes, comme en BD, en crayonnés bleus et sepia. 

Parfois on passe à des dessins plus 'enfantins', ou BD ancienne mode, ou anciennes publicités, ou animaux réalistes craquants, ou dessins violemment colorés, etc., le mieux est de voir le lien donné plus bas.

C'est une splendeur, un coup de coeur!

Sur le site de l'éditeur pour quelques pages, avis, et présentation. 

Avis babelio, et je découvre juste celui de y'dlajoie, qui présente plein d'exemples des illustrations!

vendredi 3 septembre 2021

Larmes blanches


 Larmes blanches

White tears

Hari Kunzu

JC Lattès, 2018

Traduit par Marie-Hélène Dumas


Une idée lecture prise chez Le bouquineur, assez intrigante pour que je me lance (ça me perdra)

Le titre français propose un jeu de mots tel que je me suis demandé s'il n'était pas volontaire. Hé bien non, Larmes blanches est la traduction exacte de White tears, donc le titre français est encore plus malin que l'original... Troublant!

Mis à part l'incitation du blogueur susnommé, l'écriture de l'auteur m'a entraînée dans cette histoire qui a priori n'était pas trop pour moi. Seth et Carter sont amis, mais de milieux différents. Carter est issu d'une très riche famille américaine. Seth est une sorte de génie de l'enregistrement et Carter un collectionneur fou, recherchant les 78 tours de musique de blues remontant de plus en plus dans le passé. Je préviens, dans ces deux domaines, ils sont pointus. Je leur ai fait confiance pour les détails.

Seth se balade dans New York et enregistre beaucoup, un jour un vieil homme chantonnant un air Oh oui vraiment un jour j'm'achèterai un cimetière, et un autre jour ailleurs un air de guitare, les deux correspondant pile poil, et voilà qu'ils lancent le tout sur internet, comme quoi un certain Charlie Shaw- nom imaginaire- en serait l'interprète.

Ils sont contactés par un vieux collectionneur leur racontant une histoire étrange. Et le roman bascule dans l'étrange aussi, avec des échos du passé, deux voyages effectués au même endroit à des années d'écart, bref je ne veux pas en dire plus (surtout que je n'ai sans doute pas vraiment tout compris), mais à la fin l'on constate l'existence d'une histoire tragique survenue dans le passé (et le sud bien raciste).

Ce qui est sûr, c'est que l'auteur mérite d'être connu ! Mais je préviens, c'est spécial quand même.

"Vous pouviez sentir l'épaisse moquette monter à l'assaut des pieds de votre tabouret, cherchant à ne plus faire qu'un avec vos chevilles."

Avis : babelio,