lundi 27 février 2023

Aussitôt que la vie


 Aussitôt que la vie

Listes de la colline et au-delà

Journal

Marie Gillet

L'Harmattan, 2022


Il faut imaginer une dame assez âgée marchant dans les collines provençales, promenades renouvelées sans se lasser des mêmes paysages, y voyant des rendez-vous attendus. Cette dame demeure prudente, sa canne l'accompagne, dans son sac un pique nique frugal, et surtout des carnets où elle note des listes, où elle glisse des feuilles,  et qui serviront de bases pour écrire plus tard.

"J'ai rendu hommage à cette nature qui me ramène toujours à des valeurs plus humaines que celles d'en bas, dans la ville que je n'apercevais plus. J'ai sorti mon carnet et j'ai écrit."

Chaque balade racontée insère naturellement une liste, par exemple celle des vents, des chênes, des bleus, usant de mots précis, compréhensibles, parfois expliqués. Mon préféré : "C'est bien plus tard, quand je me suis intéressée à la botanique, que j'ai appris que les fleurs de thym sont en corymbe, c'est à dire qu'elles sont toutes à la même hauteur: pas une fleur ne dépasse l'inflorescence. J'aime cette égalité que je trouve très symbolique."

Elle n'a plus l'habitude de cueillir pour ramener des bouquets. "Mais ça, c'était avant quand je croyais qu'il fallait avoir pour être, que ce soit des bouquets de fleurs ou des paires de chaussures; "

Une écriture souvent vive, pleine d'enthousiasme. "Un magnifique vieux pommier en fleurs au milieu d'un pré d'un vert éclatant. J'étais heureuse de pouvoir éprouver  cette joie de le voir et d'en n'être point blasée. Cette beauté était là avant que j'arrive et si je n'étais pas venue, elle aurait quand même existé  parce qu'elle est une vie en elle-même."

Se dégage à de multiples reprises une façon de considérer l'existence, être dans le présent, "le délai obtenu ne sera pas éternel"  "Rien ne compte que ce qui est, juste au moment où on le vit." 

Tout paraît heureux et paisible dans ces promenades baignées par l'amour de la nature.

Cependant, tout du long, discrètement au point qu'il m'a fallu du temps pour reconnaître qui est qui, j'ai découvert un parcours d'enfant tenue au silence par un père ayant eu son histoire bien sûr, un père capable d'admirer les tapis de violettes, aussi, et puis une vie plus épanouissante et créatrice de beaux souvenirs avec une grand-mère de substitution. Des voyages antérieurs, et puis des soucis de santé. Je comprends mieux ce désir de savourer les jours, toutes leurs heures, et de se ressourcer dans la nature. Il faut aussi découvrir le magnifique passage des asphodèles, en écho avec l'Odyssée, menant à un moment très personnel.

Il n'est pas besoin de connaître le coin pour apprécier ce beau livre, aimer les petits bonheurs offerts par son environnement suffira.

Ne pas hésiter à découvrir le blog de l'auteure, Bonheur du jour.

Des avis : Maryline (oups je constate qu'on a choisi un même passage), Tania, Dominique, merveilleusement illustré comme d'habitude, Manou, Mayalila, emmacollages, babelio,

jeudi 23 février 2023

Mâchoires


 Mâchoires

Monica Ojeda

Traduit par Alba-Marina Escalon


Que ne ferait-on pas pour participer au mois latino organisé par Inganmic (son billet sur ce roman, par ailleurs). Cela me sort de ma zone de confort, et puis c'est mon premier roman équatorien!

Miss Clara est  professeur de lettres dans un lycée de filles privé et très très huppé. Une expérience traumatisante avec deux élèves d'un précédent poste en lycée public lui a laissé un terrible souvenir. Sa mère, professeur de lettres elle aussi, est morte, et Clara a récupéré ses vêtements qu'elle porte quotidiennement. Elle imite aussi sa façon de se tenir, sa mère ayant souffert d'une colonne vertébrale déviée.

Déjà une ambiance particulière, non? Mais ce n'est pas tout.

Parmi ses nouvelles élèves, un groupe de six se retrouve dans un immeuble abandonné, se lançant des défis, se racontant des histoires d'horreur, etc. Les meneuses, Fernanda et Annelise, sont comme des sœurs (faut dire qu'elles ne sont pas gâtées côté mère) et ça va assez loin.

Vérités? Mensonges? Imaginations d'adolescentes? Ambiance devenant vraiment malsaine.

Au tout début on découvre que Clara retient Fernanda prisonnière, et le roman va raconter ce qui s'est passé avant. Clara, sa mère, son expérience  de prof, les ados dans ce bâtiment ou en sortie avec des jeux dangereux, Fernanda et son psy.

J'avoue avoir lu le dernier tiers en diagonale, me moquant pas mal de ce qui arrivait aux personnages, mais je reconnais que l'écriture de l'auteure m'a harponnée et fascinée. Une plume intéressante, de longues phrases -avec incises- mais cette ambiance glauque et malsaine est éprouvante et n'est pas ma tasse de thé.

Avis babelio, bibliosurf, jelisjeblogue

lundi 20 février 2023

Les derniers géants


 Les derniers géants

Damnation Spring

Ash Davidson

Actes sud, 2023

Traduit par Fabienne Duvigneau


D'accord, contrairement à Idefix, je ne ulule pas à la mort quand un arbre est déraciné. Mais là il s'agit de sequoias, et la menace pèse en particulier sur le 24-7, nommé ainsi à cause de ses mensurations anglo-saxonnes, à savoir 7,50 de diamètre et 112 mètres de haut (plus que la longueur d'un terrain de foot). Rich Gundersen est élagueur, comme son père et son grand père, et travaille en équipe chez Sanderson. Un travail difficile et dangereux, alors pour préparer un meilleur futur à son épouse Colleen et son fils Chub, il s'endette en achetant justement cette parcelle 24-7.

Dans la petite communauté du nord de la Californie accrochée sur des pentes souvent boueuses (oui, il pleut pas mal), Colleen se dévoue comme sage-femme avec juste son expérience. Elle-même vient de perdre une petite fille durant une grossesse, a connu plusieurs fausses couches, et constate des naissances d'enfants handicapés.

D'après Daniel, un chercheur originaire du coin (il appartient à la communauté Yurok, des amérindiens que je découvre, fort intéressants) en sont responsables les épandages d'insecticides par avion, et le long des routes par camions citernes. Il demande à Colleen de lui fournir des échantillons de leur eau de source.

Les bûcherons et les autres ne vont pas accepter que l'on touche à leur mode de vie et leur gagne pain. Les écolos manifestent. Nous sommes en 1977/1978.

Je n'en dis pas plus. Les chapitres sont courts, se fixant sur Rich, Colleen ou Chub, j'ai vraiment aimé ces trois là. Il y aura de beaux moments, mais aussi des tensions, des drames. Un brave bon gros roman, quoi.

Avis babelio, bibliosurf

jeudi 16 février 2023

Le couple et l'argent


 Le couple et l'argent

Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes

Titiou Lecoq

L'iconoclaste, 2022

Bien évidemment je ne peux pas dire que TOUT était inconnu dans ce livre, mais c'est Titiou Lecoq aux manettes, et cela change tout : informations tirées des meilleurs endroits sérieux, proposées avec pédagogie et humour, alors oui, cela se dévore.

Salaires différents, temps partiel et conséquences sur les retraites, oui, bien sûr. Mais cela commence avec l'argent de poche donné par les parents! Quant à la taxe rose, on commence à en parler, alors faites le tour dans les magasins, et comparez les prix du même article, selon sa destination... 

Même les impôts peuvent être une cause d'inégalité dans le couple (solution facile à mettre en œuvre), ne parlons pas du divorce et de l'héritage. Bref, à tout moment de sa vie la femme se doit d'être vigilante. Même quand elle se met en couple, alors que les petits cœurs volètent, mieux vaut penser à la répartition des charges et des tâches.

Un livre éclairant, utile et plein de peps.

Avis babelio

Une vidéo avec l'auteure



lundi 13 février 2023

Les nuits de laitue


 Les nuits de laitue

Vanessa Barbara

Zulma, 2017


Après l'avis enthousiaste de A Girl, considérant l'existence d'un mois latino auquel j'ai du mal à participer à cause d'abandons répétés dans mes lectures, au vu des 185 pages seulement, je me suis lancée.

Dès le début, l'on apprend la mort d'Ada, mariée à Otto depuis des décennies. Il faudra arriver aux deux tiers du roman pour connaitre la raison de son décès.

Ada et Otto forment un couple solide, leur maison (jaune) est entourée de voisins sympathiques mais assez farfelus. Mention spéciale aux chiens de Teresa, à la repasseuse incapable, sans oublier le facteur titulaire se trompant dans la distribution du courrier, l'employé en pharmacie féru de notices, l'anthropologue et les cafards.

Ces courriers mal distribués permettaient aussi aux habitants de se contacter, voire d'écrire à d'autres familles. "Remettre les lettres aux mauvaises personnes créait du lien social entre voisins - Teresa sortait pour protester, Nico se rendait chez Mariana pour lui donner une facture de gaz en mains propres, et ainsi de suite."

J'allais oublier les expériences culinaires d'Ada. "Elle se mettait tout de même au travail, tandis que son mari ressortait le numéro du livreur de pizza, au cas où."

Une ambiance un peu fofolle, bourrée de fantaisie, où apparaît au fil des pages la référence à un incident, et l'inquiétude d'Otto s'interrogeant des événements niés par les autres. Et pourtant...

A la fin le lecteur (mais pas Otto) saura tout.

Dans le cadre de 

Avis babelio

jeudi 9 février 2023

L'Enfer du bocal


 L'Enfer du bocal

Verena Hanf

éitions Deville, 2023



Après des années de bons et loyaux services dans sa boîte, Jacques Janssens a été catégorisé low performer et envoyé dans un open space à des tâches moins passionnantes. Son épouse Clara, femme au foyer dévouée (à sa demande, c'est précisé) a repris un travail d'infirmière. Ils voient régulièrement leur fille Corinne et ses jumeaux, mais fréquentent maintenant peu de monde, depuis le départ de leur fils Bruno, dont ils sont sans nouvelles. Une existence tristounette, où l'on tourne en rond comme dans un bocal justement, ce bocal pouvant être, si j'ai bien compris, les bureaux, une vie de mère au foyer très dévouée, ou la trop grande surprotection des parents, ici surtout Clara.

Juliette, une nouvelle collègue, apparaît, et Jacques commence à se livrer un peu. Il veut se reprendre, s'en sortir. Différentes circonstances vont l'y aider.

Ce serait dommage de trop en raconter, des vies semblables, il en existe pas mal, mais le charme opère tout doucement, comme dans les romans de l'auteure déjà lus. ( Simon, Anna, les lunes et les soleils   La fragilité des funambules) C'est doux et tranquille, et l'on s'attache fortement à ces personnages à qui il suffirait de peu pour devenir plus heureux.

Merci à l'auteure.

L'avis de Textes et Prétextes, avec des extraits,  Yv

lundi 6 février 2023

Des racines blondes


 Des racines blondes

Blonde Roots, 2008

Bernardine Evaristo

Globe, 2023

Traduit par Françoise Adelstain



Pourquoi ce choix parmi les titres de Masse critique?

D'abord j'avais tellement aimé Fille, femme, autre.

Ensuite, l'idée de départ, inverser l'Histoire. Les habitants d'Europa sont devenus esclaves de ceux d'Aphrica. Deux narrateurs, la jeune Doris, à la langue critique et bien pendue (mais intérieurement, c'est plus prudent), enlevée près de son village, transportée en bateau et, au départ, vivant chez ses propriétaires. Ainsi que le patron suivant de Doris, chef Kaga Konata Katamba 1er (alias Bwana) qui suite à une tentative de fuite, saura se venger. Ses opinions sur l'esclavage rappellent bien évidemment celles connues dans les siècles passés.

C'est piquant de découvrir comment l'auteur décrit chaque monde avec les yeux de l'autre, le lecteur au courant de l'Histoire réelle ne découvre pas les horreurs de l'esclavage, mais une piqure de rappel ne fait pas de mal. C'est plutôt réaliste.

Doris, rebaptisée Omorenomwara, vivra pas mal d'aventures, et j'ai dévoré ce roman, sans toujours me préoccuper des références sous-jacentes.

Des lecteurs sur Goodreads pointent bien le flou géographique et historique du tout, L'enfance de Doris évoquant une Angleterre des siècles passés, avec serfs et seigneurs, et la ville de Londono (cf Londres) a eu un métro, mais on a l'impression que les progrès technologiques sont diffus. Des navires, des calèches, pas d'avions ou d'automobiles. Peu importe, on se plonge dans ce monde décalé, voilà.

A un moment, dans sa fuite, Doris emprunte Le Chemin de Fer Souterrain, ici le fameux métro désaffecté, et j'ai pensé à un autre roman, mais celui de Bernardine Evaristo date d'avant, 2008.

Ce qui m'a un peu freinée dans ma lecture, en fait, c'est en dernière partie le parler des esclaves dans les plantations des iles, évoquant (en traduction française en tout cas) celui des iles, justement, mais avec des esclaves issus de nations européennes, pourquoi cette même évolution?

Avis Babelio 

jeudi 2 février 2023

Le pain perdu

 


Le pain perdu

Il pane perduto

Un récit d'Edith Bruck

Editions du sous-sol, 2021

Traduit de l'italien par René Ceccaty

Edith Bruck est née en 1931 dans une petit village de Hongrie, avec ses diverses communautés religieuses. Sa famille est juive, et dès le début du récit la situation est difficile, en dépit de l'existence de certains villageois chrétiens les acceptant mieux. Il semblerait que jusqu'au début de 1944 les juifs, même si persécutés et tenus à l'écart, ne sont pas livrés aux nazis. En tout cas, pour Edith-Ditke, c'est brusquement que tous doivent quitter leur maison (laissant le pain lever, au grand dam de sa mère), pour un train les menant à  Auschwitz Birkenau, où sa mère disparaît dès son arrivée. Durant des mois de survie, elle reste avec sa sœur Judit, frôlant souvent la mort, en plus des conditions inhumaines. 

De camp en camp, elles finissent par être libérées, puis retour en Hongrie, où Edith retrouve sa famille (enfin, les survivants). Pas forcément avec enthousiasme, d'ailleurs. Pareil dans leur village, avec les anciens voisins, et elles filent vite.

Après quelque temps en Israël, elle s'installe en Italie, où elle vit toujours. Scénariste, réalisatrice, écrivain, Le pain perdu est son dernier livre, une occasion de revenir sur sa vie. Certains souvenirs sont prégnants, pour d'autres ils n'y sont pas, beaucoup d'ellipses, et je trouve que c'est normal et d'autant plus fort.

Quelques passages:

"Bien sûr nous n'avions plus grand chose d'humain et nous les effrayions tout comme ils m'effrayaient, moi aussi, qui me demandais, en surmontant ma douleur, ce qu'ils deviendraient, ces enfants, une fois adultes." Il s'agit des enfants d'officiers séjournant dans un château, Edith travaille dans les cuisines...

Le cuisinier lui demande son nom

"Quelque chose d'incroyable pour moi, qui n'étais plus que le numéro 11152. (...)

 S'il n'était pas Dieu en personne, qui était-il? 

J'eus le sentiment de renaître. J'avais un nom. J'existais."

Avec leur soeur Mirjam, au retour en Hongrie

"Mais qu'est-ce que la vie vous réserve?

- La vie, avons-nous répondu d'une seule voix!"

A sa sœur Judit, qui projette d'aller en Palestine

"Vivons, nous verrons en vivant. Nos vrais frères et sœurs sont ceux des camps. Les autres ne nous comprennent pas, ils pensent que notre faim, nos souffrances équivalent aux leurs. Ils ne veulent pas nous écouter: c'est pour ça que je parlerai au papier."

Le livre se termine par une Lettre à Dieu, "pitié oui, envers n'importe qui, haine jamais , c'est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre et c'est ce dont je Te remercie, dans la Bible Hashem, dans la prière Adonai, et dans la vie de tous les jours, Dieu."

Avis plaisirs à cultiver, babelio, bibliosurf, Aifelle

Une lecture commune, dans le cadre de