lundi 30 mars 2015

Americanah

Americanah
Chimananda Ngozi Adichie
Traduit par Anne Damour
Gallimard, 2015


Ce roman ayant pas mal tourné sur les blogs, ma présentation peut être assez succincte. Ifemelu, jeune nigériane vivant en milieu urbain, éduqué quoique pas très aisé, quitte son pays (et le bel Obinze, son grand amour)(igbo comme elle) pour étudier aux Etats Unis. Une quinzaine d'années plus tard, après déboires et réussites, elle décide de revenir  à Lagos. Entre temps Obinze a tenté sa chance en Angleterre, vécu sans papiers, s'est fait expulser et est devenu un riche homme d'affaires au Nigeria.

Bien écrit (et bien traduit), ce gros roman se lit sans peine, mais, de ma part, avec plaisir et sans gros enthousiasme. Bizarre, oui! Que je ne me sois guère attachée à l'héroïne n'est pas grave, finalement. Par contre j'ai été vivement intéressée par tous ces détails sur la vie au Nigeria et aux Etats Unis, sur les considérations d'Ifemelu sur 'la race' et me suis bien amusée avec son blog "Raceteenth ou Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu'on appelait jadis les nègres) par une noire non américaine." Pas de politiquement correct, cela fait du bien. Au travers de l'histoire d'Ifemelu et d'Obinze, on a tout l'éventail des aventures possibles (amoureuses, professionnelles, personnelles) des nigérians, au pays, ou à l'étranger, qu'on s'y fasse une place ou pas. Un témoignage de première main, c'est sûr, et plutôt rare.

"Donc tu as toujours un blog?
- Oui.
- Sur la race?
- Non, sur la vie. La race ne compte pas tellement ici. En descendant de l'avion à Lagos j'ai eu l'impression d'avoir cessé d'être noire."

L'un des épisodes les plus drôles du roman se déroule dans un salon de coiffure aux Etats Unis, sans parler des considérations de l'auteur sur les choix de coiffure, alors je ne résiste pas au plaisir de vous proposer une photographie où elle porte ses cheveux 'naturels' (pour ce que j'en sais).
Pour avoir habité des années durant à moins de 100 km du Nigeria (sans y mettre les pieds) et pour connaître des Noirs non américains anglophones installés aux Etats Unis (et leur avoir rendu visite) j'étais forcément vivement attirée par ce roman, qui finalement a ramené des souvenirs et fait gamberger...
Oui, cette façon de passer la main sur les murs quand on est intimidé, tellement bien vu! Les catégories aussi 'il est teint clair' , le plus étonnant (pour moi la naïve qui débarque) étant que, OK, moi je suis blanche (la couleur d'un nouveau-né africain, d'ailleurs), la question ne s'est jamais posée, même oyinbo j'y ai eu droit, mais mon collègue d'origine haïtienne était 'blanc' alors que les Libanais, non. La couleur de la peau n'était pas le seul critère, semble-t-il donc.
Quant aux salons de coiffure... j'ai testé, pas pour défriser, tresser ou poser des extensions, bien sûr, juste pour une coupe, et là, pas facile pour la coiffeuse non habituée...

Curieuse, je suis allée voir ce qu'est le 'test du sac en papier' (page 243) : ahurissant!

vendredi 27 mars 2015

Le commissaire Bordelli

Le commissaire Bordelli
Il Commissario Bordelli
Marco Vichi
Philippe Rey, 2015
Traduction de Nathalie Bauer


Florence, été 63 (très très chaud et moite, l'été...). Le commissaire Bordelli est présent au bureau. La cinquantaine, plein de souvenirs de sa guerre contre les nazis, assez romantique pour attendre le grand amour, il travaille en usant de méthodes peu orthodoxes mais fort sympathiques. Parmi ses amis, un collègue médecin-légiste, un autre fils d'un copain de guerre, un éleveur de rats, une prostituée chez qui il arrose les plantes en son absence, des voyous plus ou moins repentis, dont l'un, excellent cuisinier, offrira à la bande un beau moment de convivialité.

Avec son supérieur
"Au cours de l'opération de vendredi, vous avez laissé échapper un certain nombre de criminels.
- On ne peut pas toujours être parfait.
- Non, non, Bordelli, vous n'avez pas compris, ou plutôt vous avez très bien compris. Vous ne les avez pas laissés filer, vous les avez relâchés après les avoir arrêtés.
- Ce doit être l'âge..."

Il a le chic pour donner du temps aux gens et attirer quelques hurluberlus, n'hésitant pas non plus à rendre visite à un cousin avec lequel il a peu d'atomes crochus (mais tout évolue). Un roman d'atmosphère au rythme pas trépidant mais prenant (comprenne qui pourra).
J'allais presque oublier de parler de l'intrigue policière : une vieille dame est retrouvée morte, les principaux suspects ont un alibi solide. Mais comment s'y sont-ils pris pour se débarrasser de leur tante à héritage?

Un roman fort sympathique, traduit seulement maintenant, alors que l'auteur en est au huitième de la série. Un polar atypique, où l'on lit par exemple:
"Tu as très bien fait. Un homme te sauve, tu en sauves un autre, et cet autre en sauve un troisième. Les actions des hommes sont unies comme les maillons d'une chaîne, qu'elles soient belles ou laides. Il faudrait ne jamais l'oublier : faire le mal n'est pas seulement faire le mal, c'est aussi le transmettre."

Glaz en parle aussi aujourd'hui (on ne s'est pas concertés!)

mercredi 25 mars 2015

Petite histoire des colonies françaises

Petite histoire des colonies françaises
Grégory Jarry & Otto T.
éditions FLBLB, 2014


Je comprends parfaitement que vous, tout comme moi avant d'emprunter le premier tome 'pour faire plaisir au gentil bibliothécaire', vous n'ayez pas envie de vous avaler une histoire exhaustive des colonies françaises, comprenant décolonisation et immigration par là-dessus.
J'avais tort, vous auriez tort.
Une lecture indispensable. Intelligente, caustique, pas du tout politiquement correcte. Les auteurs ont décidé d'aborder le sujet (ô combien sérieux) par le biais de l'humour décalé au second degré (au moins).
Chaque planche présente un texte illustré bourré d'ironie; lire entre les lignes, scruter les détails, ça décape! Même les couvertures et rabats proposent une petite histoire illustrée. Une abondante bibliographie complète ce livre.

Tiens, juste la présentation du tome 1, pour mieux saisir le ton général
"Petite histoire des colonies françaises passe en revue cinq siècles de colonisation en rentrant bien dans les détails pour qu'on ne loupe pas un seul aspect positif.
Petite histoire des colonies françaises est un livre sain, qui remet les choses à leur place. En plus il est distrayant et conviendra bien aux enfants, généralement mal renseignés sur ces questions.
Dans le premier des (...) tomes, le lecteur sera surpris de découvrir les bienfaits que nos ancêtres ont apportés en Amérique et dans les Antilles."

Une page
cliquer pour agrandir
Le site de l'éditeur, qui donnera les couvertures (et quelques planches) des cinq volumes (environ 130 pages chacun) que j'ai lus, intitulés tome 1, L'Amérique française, tome 2, l'Empire, tome 3, La décolonisation, tome 4, La Françafrique, tome 5, Les immigrés. La couverture plus haut est celle de l'intégrale.
Et la cinquantaine de premières pages, de quoi vraiment se faire une idée!
Interview de Gregory Jarry

lundi 23 mars 2015

Espèces d'espaces

Espèces d'espaces
Georges Pérec
galilée, 1992 (paru en 1974)


Un mince (123 pages) petit volume qui se dévore, étonne, donne à réfléchir ou reconsidérer l'évidence, appelle à développer son sens de l'observation ou sa curiosité par des sortes d'exercices sur le terrain, ôte les œillères, ouvre des horizons, amuse parfois, interpelle, et au moment d'écrire un billet ça se gâte, c'est Pérec, quoi, indubitablement.

Oh bien sûr à la fin l'on sait tout sur les espèces d'espaces, citons la page, le lit, la chambre, l'appartement, l'immeuble, la rue, le quartier, la ville, la campagne, le pays, Europe, Monde, Espace, voilà un catalogue à la Pérec, piqué dans la Table des matières.

Mais encore?
"Vivre, c'est passer d'un espace à l'autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner."

Des idées de balade originale
"J'aime marcher dans Paris. Parfois pendant tout un après-midi, sans but précis, pas vraiment au hasard, ni à l'aventure, mais en essayant de me laisser porter. Parfois en prenant le premier autobus qui s'arrête (on ne peut plus prendre les autobus au vol). Ou bien en préparant soigneusement, systématiquement, un itinéraire. Si j'en avais le temps, j'aimerais concevoir et résoudre des problèmes analogues à celui des ponts de Königsberg, ou, par exemple, trouver un trajet qui, traversant Paris de part en part, n'emprunterait que des rues commençant par la lettre C."

L'espace
"Lorsque rien n'arrête notre regard, notre regard porte très loin. Mais s'il ne rencontre rien, il ne voit rien; il ne voit que ce qu'il rencontre: l'espace, c'est ce qui arrête le regard, ce sur quoi la vue butte: l'obstacle : des briques, un angle, un point de l'espace: c'est quand ça fait un angle, quand ça s'arrête, quand il faut tourner pour que ça reparte. Ça n'a rien d'ectoplasmique, l'espace; ça a des bords, ça ne part pas dans tous les sens, ça fait tout ce qu'il faut faire pour que les rails de chemin de fer se rencontrent bien avant l'infini."

"L'espace semble être, ou plus apprivoisé, ou plus inoffensif, que le temps : on rencontre partout des gens qui ont des montres, et très rarement des gens qui ont des boussoles. On a toujours besoin de savoir l'heure (et qui sait encore la déduire de la position du soleil?) mais on ne se demande jamais où l'on est. On croit le savoir : on est chez soi, on est à son bureau, on est dans le métro, on est dans la rue."

Le mur (ne pas hésiter à relire)
"Je mets un tableau sur un mur. Ensuite j'oublie qu'il y a un mur. Je ne sais plus ce qu'il y a derrière ce mur, je ne sais plus qu'il y a un mur, je ne sais plus que ce mur est un mur, je ne sais plus ce que c'est qu'un mur. Je ne sais plus que dans mon appartement, il y a des murs, et que s'il n'y avait pas de murs, il n'y aurait pas d'appartement. Le mur n'est plus ce qui délimite et définit le lieu où je vis, ce qui le sépare des autres lieux où les autres vivent, il n'est plus qu'un support pour le tableau. Mais j'oublie aussi le tableau, je ne le regarde plus, je ne sais plus le regarder. J'ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu'il y avait un mur, mais en oubliant le mur, j'oublie aussi le tableau. Il y a des tableaux parce qu'il y a des murs. Il faut pouvoir oublier qu'il y a des murs et l'on n'a rien trouvé de mieux pour ça que les tableaux. Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d'autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur."

Inventaire de tous les lieux où j'ai dormi? Fermer les yeux, les  souvenirs précis reviennent. C'est bourré de ce genre d'idées, repenser la fonction des pièces d'un appartement (une pièce pour un usage, par exemple 'réservée à l'audition de la symphonie n)48 en do, dite Maria-Theresa, de Joseph Haydn'). Travaux pratiques, aussi, 'observer la rue, essayer de décrire la rue, magasins, cafés, prendre des notes...

Arrêtons-là, c'est riche, c'est à découvrir.

Yv, franchement, ajoute ce livre à ta collection de fan!

vendredi 20 mars 2015

La Théorie de la tartine

La Théorie de la tartine
Titiou Lecoq
Diable Vauvert, 2015




Juste pour le plaisir, découvrez ces élucubrations autour de la Loi de la tartine beurrée (avec chat inside, d'ailleurs). Mais revenons au roman.

En 2006 : Marianne est étudiante, travaillotte sur sa thèse, et tient un (ou deux) blogs. Christophe est journaliste, son futur ex-ami Louis lui envoie une vidéo (sex tape dit-on) de Marianne en pleine action avec son ex petit ami. Preux chevalier, Christophe prévient Marianne, et avec l'aide de Paul, ado geek, parvient à trouver le responsable et à le punir. Les trois deviennent amis.
Dix ans plus tard, ils sont toujours là, et internet aussi.

Je n'ai pas lu Les morues, précédent roman de l'auteur, donc ne peux savoir si elle bâtit toujours ses romans ainsi. Mais il me semble que les personnages de la fameuse Tartine (je me demande s'il y a un rapport avec la Tartine murphéenne, d'ailleurs) sont finalement un prétexte à évoquer Internet, son évolution, ses dangers. Non que cela me gêne d'ailleurs, le roman se lisant fort aisément, et les personnages suffisamment intéressants quoique un poil stéréotypés permettent d'exposer ce qui serait sans doute sinon un peu moins facile à comprendre.
Cela expliquerait pourquoi au départ Marianne me paraissait bien naïve (attends, là, tu te filmes avec ton ex copain quitté avec perte et fracas, et après tu te demandes 'mais qui a mis la vidéo sur Internet?'), Claire l'épouse de Christophe, un poil trop parfaite, Paul et ses parents bien caricaturaux.
Une fois accepté cet angle, j'ai été scotchée aux informations apprises ou révisées. Oui, on peut s'arranger pour qu'un nom soit associé à un mot (le Google bombing dont Chirac a été victime, je l'ai juste appris). Oui, on peut domicilier son entreprise au Delaware, par exemple, 200 000 entreprises sur 5328 kilomètres carrés, histoire de ne pas payer d'impôts en France (j'ignore si ça marche toujours). Oui, visiter un site laisse des traces et permet de regrouper des données sur vous, et voilà pourquoi la mutuelle de Marianne la considère comme 'à risques'. Tiens, figurez-vous que j'ai un jour récent tapé une recherche 'maison à vendre à  tel endroit' et depuis, sur Facebook, orange, etc, les publicités me proposent justement des maisons à acheter au même endroit... Les publicités sur internet deviennent de mieux en mieux ciblées, je l'avais déjà remarqué. Oui, l'opposition papier/écran ne date pas d'aujourd'hui. Oui, on peut être trop longtemps le ne nez rivé à un écran.

Un roman à découvrir pour les pistes de réflexion, de mise au point et de discussion éventuelle.

mercredi 18 mars 2015

Walking Dead vs Une sacrée Mamie...

Bien sûr je lis de la BD, mais sans toujours en parler; comme A girl de Lectures sans frontières m'a quasiment défiée de lire Walking Dead, et que j'ai réalisé qu'en plus cela me permettait de rentrer dans le challenge lire sous la contrainte, c'était plié!
dead=mort
Walking Dead
1- Passé décomposé
Robert Kirkman Tony Moore Charlie Adlard
Delcourt, 2007

Walking Dead avait tout pour me déplaire a priori. D'abord, il y a des zombies. Pour ce que j'en sais, ce sont des morts encore vivants, et en stade plus ou moins avancé de décomposition. Fort heureusement lire ne fournit pas (encore) l'odeur, mais à en croire deux des personnages, ça fouette. Ensuite il s'agit d'une série d'au moins 17 volumes de près de 150 pages, inutile de dire que je ne connaîtrai jamais la fin, donc d'où viennent ces zombies, et quelle épidémie a transformé ainsi les humains... Si j'ai bien compris, on peut les tuer, une question de vie ou de mort d'ailleurs, ces morts vivants possédant la désagréable habitude de vouloir se nourrir d'êtres vivants (et si tu es mordu, t'es cuit!). Fort heureusement ils se déplacent lentement (chic, je viens de reprendre l'entraînement footing) mais en nombre c'est dangereux. Côté conversation à base d'onomatopées, on n'est pas dans un salon du XVIIIème siècle. Vont-ils évoluer?

Blessé dans une fusillade lors d'une arrestation, Rick se réveille du coma dans un hôpital livré aux morts vivants. Dessins avec petites mouches voletant autour, têtes se désolidarisant aisément du corps, beurk, quoi, mais ma première réaction fut celle d'un ricanement intérieur teinté de sentiment de ridicule. Il faut dire que les corps de rongeurs, entiers ou démembrés et à moitié mangés ou digérés retrouvés depuis quelque temps dans mon jardin (le coupable, Squatty, je ne vais pas vous faire traîner en 17 volumes, moi) m'ont donné des nerfs d'acier.
Dans sa petite ville, Rick rencontre un homme et son fils, survivants, et se lance vers Atlanta où il espère retrouver sa femme et son fils. Dans cette grande ville où errent des hordes de zombies affamés il rencontre Glenn qui l'emmène à un campement où se sont réunis des survivants, dont... oui, sa femme et son fils. Séquence émotion.

Je me moque, mais l'intérêt de l'histoire est quand même de découvrir cette petite communauté, ses conflits, ses recherches de solution (et sans doute son évolution dans les prochains tomes). Rien que pour cela je pourrais être tentée de poursuivre l'aventure. Sachant qu'il faudra quand même en passer par un côté très 'série américaine' avec hugs et "Ne t'en fais pas Chérie. Tout ira bien. Je t'aime. - Moi aussi, je t'aime." Et accepter la disparition des personnages, dans ce tome là, déjà trois si je me souviens bien. Et supporter la violence, pas toujours à l'encontre de ces pauvres zombies.

Allez, pour se laver l'esprit de ces horreurs, rien de tel que

Une sacrée Mamie (tome 2)
Yoschichi Simada et Saburo Ishikawa
Delcourt, 2009



J'avais déjà dit ici (tome 1) tout le bien que je pensais de cette série de BD, et ai donc retrouvé avec plaisir le jeune Akihiro, ses camarades de classe et surtout sa grand mère! Cela peut devenir poignant, quand Akihiro et un camarade se lancent dans une battle 'à qui sera le plus pauvre', ou quand un ami un peu simplet décède. Notre jeune ami tombe amoureux de sa maîtresse d'école ou d'une jolie camarade, très finement raconté. Il retrouve sa mère pour des vacances à Hiroshima. Un brave petit bonhomme, vif, mais sachant reconnaître ses erreurs et réaliser combien la vie de sa grand mère est difficile. Séquence humour avec la terrible "Tome aux oreilles infernales", 90 ans, ancienne sage-femme, qui profite bien d'avoir mis au monde quasiment tout le village... 


Il faut découvrir cette BD pas niaiseuse du tout et cette grand mère à la philosophie particulière. 
Le petit fils a eu de mauvais résultats scolaires, mais elle suggère d'ajouter les notes pour en récolter une meilleure. "C'est le total qui décide de la vie des hommes".
Amusant aussi de découvrir que le grand rêve est d'avoir la télévision, que sinon l'on va regarder chez le voisin (années 50 au Japon)

lundi 16 mars 2015

Shakespeare

Shakespeare
Shakespeare, The Biography, 2005
Peter Ackroyd
Philippe Rey, Fugues, 2015
Traduit par Bernard Turle







Un mot sur la couverture : Au dos de ce tableau connu sous le nom de Portrait Grafton figure l'inscription W+S. "Quant à la possibilité qu'il représente Shakespeare, on parlerait de vœu pieux... si l'on ne remarquait une ressemblance étonnante avec la gravure qui représente Shakespeare âgé dans le Premier Folio. La bouche et la mâchoire, l'arête du nez, les yeux en amande, tout y est. L'expression est identique, aussi. (...) On a prétendu que (...). Cependant (...) . En tout cas, l'hypothèse est enthousiasmante."

Après celle de Bill Bryson, voici (encore? ^_^) une biographie de Shakespeare, mais face à un tel homme, quantité ne nuit pas. Cette fois 700 pages écrites assez petit (mais agréables à lire, et découpées en multiples chapitres) apprennent (ou rappellent) quasiment tout au lecteur. Le passage cité précédemment est un exemple parmi de nombreux du regard d'Ackroyd sur les sources et documents : les citer, les discuter, peser le pour et le contre, ne pas toujours conclure mais si oui, avec bon sens.
En effet des zones d'ombre demeurent parfois sur la localisation exacte de Shakespeare au cours de sa vie (Stratford? Londres?) , ses motivations, ses opinions religieuses (catholique caché ou pas?) et même ses œuvres (écrites seul? en commun?)
Quoiqu'il en soit, Ackroyd fait montre d'une admiration sans bornes pour le génie de Shakespeare, tout en mettant l'accent sur son pragmatisme au cours de sa vie. Vie relativement longue pour l'époque (52 ans). Dans ce copieux volume (et pour 13,40€!) le lecteur sera plongé dans la vie quotidienne au tournant des 16ème et 17ème siècle, dans la campagne anglaise, et à Londres, où sévit régulièrement la peste. Il partagera le quotidien d'acteurs (Shakespeare était aussi acteur) de l'époque, attachés à un haut personnage, voire au roi. Shakespeare écrivait rapidement, souvent utilisant des sources qu'il transformait, et reprenait ses pièces au fil du temps; contrairement à ce qui se passe aujourd'hui, elles n'étaient pas imprimées au fur et à mesure sous son nom, on les jouait, voilà. Le physique ou le talent d'un comédien pouvait amener une mise en scène précise. Les théâtres n'étaient pas toujours couverts, les spectateurs s'y pressaient (ils pouvaient manger, ou être sur la scène même).

Bien évidemment cette biographie est un incontournable (celle de Dickens par Ackroyd était déjà assez monumentale) et comme je l'ai lue avant et après avoir assisté à une représentation de Henri VI (enfin, la moitié, mais ça faisait déjà 8 heures) elle a pris tout son sel. Oui, Shakespeare, c'est un mélange de comédie burlesque, de tragédie, on monologue pas mal ... Pour Henri VI, mon grand étonnement (et plaisir de me raccrocher enfin à du connu) fut de découvrir qu'une partie se déroule en France, avec du Jeanne d'Arc inside! (elle meurt pareil). Grâce au talent des comédiens et à la mise en scène, ne rien connaître de la royauté anglaise n'était pas gênant et les heures sont passées comme un rêve.

Notez que la pièce sera jouée le 20 juin à Rouen (oui, oui, tu sais que c'est à toi que je m'adresse!)

Merci à l'éditeur : du poche à prix correct, une présentation fort soignée, pour des textes de référence, que demande le peuple?

vendredi 13 mars 2015

Des voix parmi les ombres

Des voix parmi les ombres
Verliesfontein
Karel Schoeman
Phebus, 2014
Traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein


En 1901, Fouriesfontain est une toute  petite ville comme bien d'autres, avec son tribunal, sa mairie, son cimetière, ses boutiques et artisans, son école, une population parlant anglais ou hollandais (voire les deux), blanche ou métisse (le quartier métis est à l'écart). Un jour d'été (en décembre) des cavaliers Boers de l'Etat libre d'Orange s'emparent de la ville pendant quelques semaines, puis en sont chassés par les troupes anglaises. Parmi les morts, Giel Fourie, un tout jeune homme ayant rejoint les Boers.

Cent ans plus tard, accompagné d'un photographe, un homme intéressé par l'histoire de la région veut s'arrêter à Fouriesfontain, mais la ville semble impossible à trouver, ensuite une fois dans ses rues il entend et voit des bribes du passé, "plutôt comme un film qui attend attend d'être coupé et monté".
"Les deux mondes, toutefois, sont bien séparés, chacun suit son cours, et de cet autre monde il n'aperçoit que des éclairs, un peu lorsqu'on entend une conversation dans une langue étrangère et que l'on reconnaît ici ou là un mot, une expression que l'on a apprise par hasard, mais sans comprendre quel est le lien qui les unit ni saisir le sens du message."

Voilà comment le lecteur découvre Fouriesfontain, dans une curieuse ambiance floue, guidé vers des événements sans ordre chronologique et des personnages pas connus. Mais émergent des figures, et ce sont Alice, la fille du magistrat écossais, Kallie, le clerc du même magistrat, et Mademoiselle Godby, la sœur du médecin, qui racontent leurs souvenirs de la guerre, souvenirs flous, imprécis, répétés parfois, se complétant ou pas, jusqu'à obtenir une vision prenante de la petite ville en 1901 et de l'ambiance avant, pendant et après les événements.

"Les divisions qui existaient après la guerre n'étaient pas nouvelles, simplement nous ne les avions pas remarquées, elles étaient masquées, un peu comme ces fissures sur un mur que l'on bouche avec du plâtre et que l'on recouvre ensuite de papier peint; les fissures demeurent. Les blessures, les rancunes, les désaccords avaient toujours été là, tout comme la peur et la méfiance - je dirais même l'angoisse, et la haine - car il y avait aussi de l'angoisse et de la haine, et la guerre n'a rien fait d'autre, en définitive, qu'arracher le papier peint et mettre à nu les fissures."

Karel Schoemann est un auteur remarquable : une langue admirable emportant son lecteur, une façon superbe de rendre les atmosphères, les hésitations, le non-dit, les tragédies, l'idée vraiment intéressante de plongée dans l'espace-temps, la lisibilité de l'histoire même si on ne connaît pas l'histoire de l'Afrique du sud, l'intemporalité et l'universalité de l'histoire, finalement.

Le moment le plus fort me restant en mémoire est celui où Mademoiselle Godby se rend auprès du magistrat Boer et qu’elle réalise que "contre ce masque souriant mes mots ne pouvaient rien, or les mots étaient tout ce que j'avais à ma disposition : des notions comme la justesse, la bienséance, l'humanité ou la justice n'avaient plus aucune valeur, il n'y avait plus de vocabulaire commun, pas de système de valeurs que nous eussions pu partager pour servir de base à un dialogue. J'étais au bord d'un abîme."

J'en ferais bien encore un coup de coeur, en tout cas c'est dans ma catégorie 'très beau roman à lire absolument'. Troisième roman que je lis, troisième choc!

Les avis de La cause littéraire, lecture écriture, le dolmen , manou,

mercredi 11 mars 2015

Vivement l'avenir / Les encombrants / Il ne fait jamais noir en ville

Vivement l'avenir
Marie-Sabine Roger
la brune au rouergue, 2010


La présence plus palpable sur ce blog de romans du Rouergue et en particulier de Marie-Sabine Roger s'explique simplement; cet éditeur a été choisi pour des lectures en commun dans mon département, et ma médiathèque recevra Marie-Sabine Roger (un jour où je ne suis pas disponible, snif)

Dans cette petite ville tristounette en proie à la crise, être jeune n'est pas le top. La copine de Cédric est partie avec un autre, d'ailleurs Cédric joue les Tanguy chez ses parents, et il passe son temps à glander, en particulier avec son pote Olivier qui s'est lancé dans la construction d'un barrage sur le canal, à l'aide de canettes de bières (bues avant)
En CDI à l'usine locale, Alex loue une chambre chez Marlène et Bertrand, et s'intéresse à Gérard, alias Roswell, le frère de Bertrand, vraiment mais vraiment à l'ouest, bavouilleux crachouilleux mais à l'innocence et l'enthousiasme dévastateurs (et il chante fort et faux)

Bon, d'accord, avec Marie-Sabine Roger, c'est toujours un peu les mêmes histoires de gens pas bien gâtés par la vie, la même écriture directe et parlée, mais encore une fois après quelques dizaines de pages, bingo, elle m'a eue et j'ai vite filé cette lecture, parce que moi aussi j'aime bien les lectures qui donnent le cœur plus gros... Les héros sont finalement sympathiques, les méchants plus bêtes que méchants et ça fonctionne!

Page 186 : je signale que Rahan n'est pas un personnage de comics américain, mais bien français! (ah Pif et ses gadgets...)

Dans la foulée, j'ai enchaîné avec

Les encombrants
Babel, 2011

Ces nouvelles que je désirais depuis longtemps découvrir ne m'ont pas déçue. Les encombrants, ce sont ces personnes âgées que l'on remise en maison de retraite ou que l'on oublie dans leur maison. Il arrive que la mémoire leur joue des tours (tendre et belle Rose thé), qu'ils n'aiment pas les animaux (Vic), qu'ils vivent quand même leur vie (La piquante Comment fait-elle?), que leur fille les aime (Son père) et ces bouffées de tendresse aident à avaler les splendides et caustiques Une garde de nuit (une abominable garde de nuit!), On n'a pas tous les jours cent ans (réjouissant, cruel, mais si bien croqué!). Mon cœur a été broyé par Eliette, de Eliette et Léonard, petite mamie solitaire pour qui le très rare et intéressé passage en coup de vent de ses petits-enfants est un événement...
Côté écriture, on est moins dans le vif et parlé que dans les romans déjà lus, et c'est aussi une découverte.
Hautement recommandé!

et ensuite:

Il ne fait jamais noir en ville
Editions Thierry Magnier, 2010

Il se confirme que les nouvelles de Marie-Sabine Roger sont idéales pour les non amateurs de nouvelles. Comment résister à ces histoires de chat abandonné bouleversant la vie -et surtout la personnalité- d'une employée à la vie tristounette (La loi de Murphy), de voisin inquiétant (Ce bon Monsieur Mesnard)? Plein de tendresse, de coup au cœur, d'humour; je retrouve l'univers de Marie-Sabine Roger, ces gens âgés, infirmes, décalés, ces gens comme tout le monde (ou presque). Beaucoup moins de dialogues, et une écriture plus 'soutenue', bref, j'aime!

lundi 9 mars 2015

Sous les yourtes de Mongolie

Sous les yourtes de Mongolie
Avec les fils de la steppe
Marc Alaux
Transboreal, 2010



S'approcher du 'stand Transboreal' à un salon du livre est toujours pour moi le moment de tous les dangers, surtout qu'officiait à Paris Marc Alaux lui-même, un des collaborateurs de la maison. (A ma question idiote 'lesquels avez-vous lus?', il a répondu 'tous')(et je le crois). Ce serait d'ailleurs aussi un de mes rêves...

Le rêve de Marc Alaux, c'est la Mongolie! Avant de s'y rendre, il a lu, étudié. De 2001 à 2009, en plusieurs voyages, il a parcouru des milliers de kilomètres à pied dans cet immense pays (trois fois la superficie de la France, pour situer un peu). On peut donc dire qu'il connait à fond!

"Ma passion pour la Mongolie n'est pas un appétit d'enfant qui se contente d'une fois. C'est l'amour d'une vie, du moins je le crois. Revenu du premier voyage, j'entendis l'appel de la steppe au langage duquel j'étais devenu perméable. Je l'avais étudiée comme nombril des empires nomades; j'en fis la maîtresse de mes rêves. Incapable de refuser le départ, j'y répondis brièvement durant l'hiver 2003, puis longuement avec Laurent Barroo en 2004.J'étais resté dépendant de cette lande. Elle agissait sur moi comme un philtre puissant dont les effets ne cessent pas, si bien que poussait en mon cœur une fleur sauvage, un désir de liberté qui ne se renie pas.(...) La vision fanée, cristallisée de la Mongolie qu'en donnent les photographes, si elle légitimait peut-être mon premier séjour, n'était pas à l'origine des autres. (...) Le mythe romantique ou mystique de la Mongolie s'était éteint. Documentaires et images colorées ne trouvaient plus d'écho en moi, et les rêves de bohème ou d'aventure avaient fondu."

Sans assistance ni guide ni sponsor, le sac à dos parfois porté par un cheval de bât, il s'agit de découvrir la capitale puis de traverser des contrées désertiques, souffrir du froid, de la faim, de la pénurie. Apprendre le partage, l'échange, le dialogue, un autre rapport au temps.

Tout au long de ce livre - extrêmement bien écrit, ce qui ne gâte rien- se déploie une Mongolie que jamais le touriste ordinaire en simple passage ne connaîtra vraiment, que ce soit dans la capitale, dans les petites villes de province ou au fin fond des steppes... L'histoire millénaire se révèle petit à petit, ainsi que les réalités quotidiennes, loin des images des guides (même si franchement, c'est beau!)

Un excellent cru Transboreal, recommandé aux amateurs de littérature de voyage, bien sûr, et de littérature tout court.

Des avis ici

vendredi 6 mars 2015

Partir

Partir
One Step Too Far
Tina Seskis
Le cherche midi, 2015
Traduit par Florianne Vidal



 "Ce matin, j'ai essayé de fuir sans me retourner mais à la dernière seconde, malgré moi, je suis allée jusqu'à sa chambre pour le regarder dormir -comme un nouveau-né au jour de sa toute nouvelle vie.  Je n'ai même pas osé entrebâiller la porte de Charlie, sachant que cela le réveillerait et qu'après je n'aurais plus la force de partir. Alors j'ai fermé le verrou sans faire de bruit et je les ai quittés."

Voila, Emily part et se refait une vie complètement différente à Londres, sous le nom de Cat. Habiles retours dans le passé, mois qui passent pour Cat, avec petites incursions dans le passé ou le présent chez Ben, le mari, Andrew, le père, Frances, la mère et Caroline, la sœur jumelle, qui sont restés derrière elle.
Une narration extrêmement bien menée, efficace, et la question qui taraude le lecteur (ou la lectrice) : mais pourquoi donc Emily est-elle partie? Au fil des pages qui se tournaient vite, je sentais monter la pression, tout en pensant 'il y a intérêt à ce que la raison soit forte, parce que sinon...' . Eh bien je n'ai rien deviné, en une demi page j'ai été cueillie, bouleversée! Même les retournements finaux sont inattendus (ou alors je suis très bon public, et alors?). Je réussis même à plaindre cette pauvre Caroline, bien détestable pourtant au départ...

A lire le titre en VO, mon petit cœur se serre encore...

mercredi 4 mars 2015

Bons baisers de Téhéran

Bons baisers de Téhéran
The luminous heart of Jonah's
Gina B. Nahai
Préludes, 2015
Traduction de Pascale Haas


Gina Barkhordar Nahai est née en Iran en 1960 et a rejoint les Etats Unis en 1977, elle vit à Los Angeles.

Prière de ne pas se laisser influencer par le titre français et se concentrer sur 'Le cœur lumineux de Jonah', bien plus beau, mystérieux et poétique et donnant une plus juste idée de ce roman. Impossible de raconter pourquoi ce cœur lumineux, petit plus étonnant qui donne un souffle inattendu à ce qui pourrait n'être qu'une n-ième saga familiale. Quoique, la Putain Noire de Buchehr est une drôle de personnage...

Tout commence à Los Angeles par l'assassinat du Fils de Raphaël, homme d'affaires véreux d'origine iranienne . Pas mal de suspects, mais ce n'est pas l'enquête policière qui importera (de toute façon le corps a disparu). Le Fils de Raphaël (ou soi-disant), mais comme l'a clamé sa mère à Téhéran pendant des années aux portes de la maison des Soleyman, ce fils aurait dû avoir la maison et la fortune des Soleyman. A Téhéran, d'abord, puis à Los Angeles, s'entremêlent les destins des membres, amis et ennemis de cette famille juive iranienne, de l'époque du Shah à l'époque actuelle.

Gina Nahai connaît merveilleusement bien l'histoire et les coutumes iraniennes. Ainsi que la communauté juive d'origine iranienne des Etats-Unis, et en parle avec tendresse et ironie. En dépit d'événements dramatiques, ce n'est jamais larmoyant, et bourré de peps.

Premier bon point de ce roman, faire passer mine de rien une masse d'informations sur l'Iran et les Iraniens, en particulier sur la vie des femmes et leurs droits, et les différences avec les américains.

Autre bon point, des personnages hauts en couleur, croqués avec vivacité, Angela par exemple.
Angela avait offensé quasiment tous les membres de la communauté de LA appartenant à la tranche des revenus élevés au prétexte qu’elle était, dans le sens le plus exaspérant du terme, franche. Telle était la façon américaine et européenne de la décrire; pour les Persans, elle était dénuée de tact, agressive, furieuse, amère et toujours prête à faire honte aux siens. Elle était née en Iran, d'où elle était partie lorsqu'elle avait à peine huit ans, et il était vrai qu'elle n'avait pas eu la vie facile (qui avait eu la vie facile? Ce n'est pas pour rien qu'on appelle ça 'exil' et non 'vacances au bord de la mer')."
L'exil, justement, un merveilleux passage, trop long à citer entièrement, mais démarrant ainsi:
Le plus dur quand on vit en exil, les iraniens l'apprendraient très vite, c'est la disparition - non pas de soi, mais de ce qu'on paraît aux yeux des autres.(...)
et se terminant par
Les morts et les disparus ne peuvent pas traverser les frontières; leur exil, c'est notre oubli. 

Encore un bon point, un découpage ménageant le suspense.

Et puis, des personnages (John Vain) ou des passages qui cueillent au cœur:
Comment appelle-t-on le moment où on se déleste de la certitude, encore qu'elle soit illusoire, que la vie ne fera que s'agrandir?  Que l'horizon s'étendra toujours?
Un dernier passage étonnant
Elle prononça la phrase qui était la marque de fabrique de toute mère juive iranienne : 'Ghorboonet beram' - que je sois sacrifiée pour toi.
Seul bémol, les erreurs (de relecture?) dans le texte français. Comme j'avais à la fois un exemplaire 'édition spéciale' et le définitif, j'ai pu comparer, certaines erreurs ont été corrigées, résilence par exemple changé en résilience, mais il en reste (sans que cela compromette la compréhension). Je suggérerais quand même de changer cette différence de 8000 mètres entre un sentier montagneux et la vallée (page 233)... Vraiment dommage, pour un roman épatant par ailleurs!

lundi 2 mars 2015

Indian Roads

Indian Roads
Un voyage dans l'Amérique indienne
Rez Life (titre original)
David Treuer
Albin Michel, Terres d'Amérique, 2014
Traduit par Danièle Laruelle


David Treuer est l'auteur de Little et Comme un frère (entre autres); son père, juif autrichien, a émigré aux Etats-Unis en 1938, et sa mère est une amérindienne Ojibwé.  Il a grandi dans la réserve indienne de Leech Lake, au nord du Minnesota. Rez Life parle bien sûr ... des réserves indiennes. L'auteur connaît le sujet de l'intérieur mais a aussi compulsé pas mal de documents, discuté avec des témoins. Partant fréquemment de sa propre vie familiale ou amicale il aborde des sujets plus généraux, ce qui donne une lecture plus aisée car j'avoue m'être parfois perdue dans tous les sigles. Il met à bas nombres d'idées fausses ou préconçues sur les indiens et les réserves.

Par exemple les traités entre européens et indiens, qui justement étaient des traités -à respecter.
Au cours du 19ème siècle, "les tribus indiennes renonçaient à certaines de leurs terres et se réservaient les autres pour leur propre usage. Ces portions restantes furent appelées 'réserves'. En ojibwé, cela se dit 'ishkonigan', qui signifie 'les restes'. En plus de ces terres réservées sur lesquelles les Indiens étaient censés pouvoir vivre à leur guise sans être inquiétés, les accords comprenaient  diverses clauses leur accordant des droits particuliers ou 'droits garantis par traité'. Ces droits - de chasse, de pêche, de cueillette, d'exploitation forestière - étaient nombreux."

Les problèmes accablant les réserves - "criminalité, gangs, chômage, suicide et faible taux de réussite scolaire"- ne sont pas écartés mais évoqués sans misérabilisme; parfois des solutions fonctionnent.

Et les casinos, qui ont vraiment changé la donne dans la seconde partie du 20ème siècle?
"Pourquoi les Indiens ont-ils le droit d'avoir des casinos et pas nous? Cette question revient souvent, et il est facile d'y répondre : c'est à cause des Cherokees, et à cause d'un mobile-home à Squaw Lake dans les Minnesota." Les détails forment une bonne partie d'un chapitre, je ne détaille donc pas.

David Treuer est indien et fier de l'être. Son plaidoyer pour la culture -et la langue- est à prendre en considération. Je recommande ce livre à ceux qui veulent en savoir plus sur les réserves indiennes (histoire, vie actuelle, futur).

Pour le plaisir, un bon passage de l'introduction, au sujet des Ojibwés versus autres indiens.
 "Nous étions des teigneux, des 'preneurs de noms' ayant vaincu les Iroquois, les Sauks et Fox et les célèbres Sioux, et pourtant, nous ne sommes pas très connus pour cela. D'ailleurs, les Sioux, qui sont sans doute les guerriers indiens les plus réputés, occupaient autrefois le territoire où nous vivons, dans les forêts du nord du Minnesota, du Wisconsin et du nord-ouest de l'Ontario. Mais nous les avons chassés vers les plaines où ils ont prospéré en chassant le bison. Peut-être que le problème est là. Les Sioux chassent le bison à cheval et nous, les Ojibwés, posons des collets pour piéger les lapins, chaussés de raquettes. Les Sioux ont monopolisé le marché du cool version indienne. C'est également vrai pour les noms." ( une des exemples donnés, Crazy Horse -cheval fou- face à Mouse Dung - crottes d'orignal)
En un sens, c'est peut-être une bénédiction. Nous avons globalement évité que des tiers écrivent sur nous; (...) Nous avons aussi évité d'être envahis par ceux qui rêvent d'être indiens et les 'fanas de la culture' parce que, en fin de compte, personne ne souhaite être un Indien sans chevaux, qui vit dans des marais, piège des castors et n'a pas développé de saisissants motifs géométriques en perles ou des coiffes de guerre du plus bel effet."

Les avis de Hélène,